posté le 10-01-2011 à 16:00:37
Rando galère, suite en Corse : quand l'âne prend le maquis
Ça y est ça se réchauffe. Des températures qui grimpent, on ne s’y attendait même plus. Du coup, il a fallu retirer les doudounes aux ânes. Plus de dix degrés au thermomètre. Et pourtant, on n’est même pas mi-janvier. Quelques semaines plus tôt, on était à moins quinze. Ça yoyote sérieusement du côté du climat. Dérèglement, dit-on… On verra la suite…
En attendant, comme promis, il me faut continuer dans les confidences et, tout doucement, au pas de l’âne, poursuivre la série des galères en rando.
Cette fois-ci, je vous emmène directement en Corse, déjà histoire de se réchauffer un peu plus, vu qu’ils ont toujours les maximales, eux…
Mais bon… revenons à nos moutons et surtout à mon âne et ceci au cours de la rando à un euro symbolique de l’année 2009.
J’intitulerai cette nouvelle aventure :
Quand l’âne prend le maquis
Non loin de Cargèse, je trouve un petit sentier qui me permet un raccourci en me faisant aller d’une plage à l’autre. Le sentier grimpe un flanc de montagne et tutoie une falaise qui tombe à pic dans une mer turquoise, avant de redescendre doucement vers une autre plage.
Des doutes sur le chemin
Comme d’habitude, j’essaye de me renseigner et toujours comme d’habitude, je récolte des avis contradictoires, les uns me disant que je peux passer et les autres affirmant le contraire. La raison à ces débats est que le sentier, sur quelques virages, se rétrécit considérablement avec en même temps, sur un bord, le mur de la falaise. Et moi qui ai le vertige !
La question est aussi celle de mon âne, bien ventru et chargé de sacoches plutôt rembourrées. Passera ? Passera pas ? Au final pas la moindre idée. Mais j’apprends que le trajet est des plus courts: une heure à tout casser… (ou plutôt à tout passer). N’ayant pas la possibilité d’avoir à l’avance la largeur minimale (en cm) du sentier et ignorant également les mensurations de mon âne (sacoches comprises), je me dis que le mieux est de tenter, me fiant à la précision du temps, à défaut d’avoir celle de la distance.
Une autre idée du programme pour mon âne
C’est donc parti pour une petite grimpette. Le début, en principe –hormis le fait que ça monte – ne pose aucun problème. Mais, hélas, mon âne a un tout autre avis sur la question ; il faut dire que lui ne sait jamais pour combien de temps il en aura (et c’est vrai que par le passé, nous avons déjà grimpé pendant de très longues journées). Aussi, alors que nous touchons presque le point culminant (et donc peu avant les passages étroits), celui-ci se bloque devant une petite montée en zigzag qu’il juge à son goût trop escarpée. Je décide donc de lui chauffer un peu l’arrière-train de quelques coups de baguette, étant derrière lui et le faisant avancer sans le tenir. Mais alors, qu’entreprend-il, le mufle ? En un quart de seconde, il effectue un demi-tour, si rapide que je n’ai même pas le temps de voir que la tête a remplacé la queue, et pique droit vers la descente. Et le voilà refaisant en sens inverse tout le chemin, avec moi courant derrière lui.
Et d’après vous, où est-ce que je le récupère ? Oui, tout en bas de la grande montée, vous avez gagné !
Il y a des randos qui sont parfois comme des jeux de Monopoly. L’âne, comme le dé, quand il tourne du mauvais côté, peut vous ramener à la case départ. Et ça ressemble un peu à la case prison… De plus, je ne sais toujours pas si je peux prendre ou pas le chemin.
Je persévère... lui aussi.
Mais je décide de ne pas lâcher l’affaire et persiste. Donc, nouveau départ et re-escalade du sentier pentu. L’âne, lui au moins, il apprendra lequel des deux est le plus têtu, non mais ! Au moment où l’on s’approche de la partie escarpée où l’animal s’était mis à pivoter sur ses sabots, je reste cette fois bien vigilante et me murmure en silence : « là mon coco, si tu crois m’avoir avec ton demi-tour, tu te fourres le sabot dans l’œil. » En effet, impossible pour lui de me faire le même coup car, cette fois, je lui barre littéralement le chemin de la descente.
Je me dis donc que mon mufle d’âne (oui, je sais, cet animal hybride paraît étrange…) va forcément continuer à grimper, puisqu’il n’a pas le choix. Et bien non… il ne grimpe pas. Il pivote de nouveau, mais pas complètement et, à ma nouvelle grande surprise, je le vois se jeter dans le maquis.
Pas possible ! Ce sont sans doute ses copains ânes corses qui lui ont soufflé le truc. Mais bien sûr, cette fois, il ne peut pas redescendre plus bas ; il est coincé. Partout une végétation inextricable avec épineux, branches griffeuses, troncs tordus… le maquis quoi.
Keep cool
Devinant qu’il ne voudra pas revenir de lui-même, je vais donc à sa rencontre. Mais là, je découvre que la situation est beaucoup plus compliquée que prévue. L’âne a en fait glissé sur un bout de terre très pentu et impossible à remonter. C’est d’ailleurs si pentu que je ne peux pas y aller moi-même. A cela s’ajoute un enchevêtrement de buis et de branches que je ne peux pas non plus franchir. L’âne, avec sa force, a pu le faire, mais les branches, après son passage, se sont remises en place. C’est donc pire qu’un digicode d’immeuble de Neuilly ; il n’y a rien à négocier ; si vous n’êtes pas un âne, vous ne passez pas du tout.
Alors, il ne reste plus qu’une solution ; tenter de trouver un chemin plus bas par lequel il pourrait revenir… Mais là c’est si dense et si touffu, qu’il est même impossible de le rejoindre. De plus, je constate que les troncs d’arbres sont très rapprochés et le calcul est vite fait ; avec les sacoches sur le dos, il est impossible qu’il puisse passer.
Voyant que je cherche une issue, le voilà soudain coopérant et il tente autant que possible de s’approcher pour me rejoindre, mais en étirant le bras du mieux que je peux, j’atteins à peine le bout de son museau. Mais à quoi bon, puisqu’il faudrait le débâter sur place ?
Le bilan est donc fait : zéro solution, zéro possibilité de le faire sortir de là. Alors qu’est-ce que je fais ? Je reviens sur mon chemin, m’assoit sur une pierre.
Je me retrouve seule en montagne, avec un âne coincé dans le maquis. La situation est des plus critiques et pourtant, sans vraiment comprendre pourquoi, je me sens d’une totale décontraction. Et donc je m’assois. D’ailleurs, qu’est-ce que je pourrais bien faire d’autre ? J’essaye quand même d’appeler mon âne, au cas où lui trouverait une autre idée de chemin. Mais en tout cas pour moi, c’est tout vu ; des solutions, je n’en ai pas. Peut-être la raison pour laquelle je me sentais si relax, en tout cas j’ai vraiment été très surprise par mon comportement et surtout cette sensation : c’était comme si tous les effets du stress disparaissaient et sur mon rocher, à attendre – c’est fou à dire – mais je trouvais ça presque agréable.
Sauvés !
Le fait est, que c’est ma décontraction qui va finalement me donner raison. Pas longtemps après, encore qu’il est difficile de se faire une idée du temps où j’ai attendu, j’aperçois un homme grimper le sentier. Un promeneur ? Pas du tout : l’homme m’a entendu appeler mon âne et il a décidé de venir à ma rencontre pour m’aider. Il m’apprend alors, chose incroyable, que c’est lui qui a fait le sentier. Il le connaît donc par cœur et presque jusqu’à connaître la disposition de chaque arbre et de chaque pierre qui longe le chemin. Que pouvais-je espérer de mieux !
Mais à ce moment-là, mon âne est encore coincé et la solution toujours pas trouvée. Je lui montre l’endroit où il se trouve et son constat est le même : un retour en arrière impossible pour la bête et pour nous – même à deux – impossible de le rejoindre, à moins d’être équipés de cordes et tronçonneuses.
Alors, comme moi, il en vient à chercher un chemin plus bas. Il commence par étudier la situation et la végétation avec une certaine perplexité et se montre cette fois plus optimiste que moi. Je lui demande alors comment il compte faire. Je le vois alors se jeter avec hargne sur un mur de buissons et repousser ensuite des branchages enchevêtrés. Il faut un peu de force pour cela, mais je constate en effet qu’il y a là un petit passage beaucoup plus praticable. Celui-ci évite certains troncs même si ce n'est pas tous et la situation bien qu'encore incertaine, paraît quand même s'éclaircir, ce qui est le cas de le dire. Alors je décide de tenter le coup. Je m’approche, comme je l’avais fait précédemment et mon âne, de son côté, s’efforce au mieux de me rejoindre. Mais je me retrouve bloquée, comme précédemment, avec juste le bout du nez que je peux toucher. Toutefois, de cette façon, je réussis à récupérer la longe.
Puis, j’essaye de le faire avancer. Je lui crie : « aller ! aller ! » avec une conviction qui m’étonne encore. Et soudain, des craquements effroyables, de la poussière, des feuilles qui volent de partout… et soudain mon âne qui réapparaît comme par miracle. Le bât est intact, les sacoches aussi et, pourtant, chose incroyable, un tronc d’arbre s’est coincé dans les lanières. Je me souviens encore de la mine sidérée de mon coéquipier du moment : « La vache ! Il a même réussi à arracher le tronc… »
En effet, même quand on connaît la force que peut avoir un âne, cela paraît impensable. Jamais je n’aurais pu imaginer une solution comme celle-ci. C’est pourquoi, parfois, il vaut mieux y aller à l’instinct.
Mais il restait cette question : mon âne, allait-il réussir à passer les passages étroits ?
Mon secouriste en ânes avait des doutes sur l’un des deux, mais selon lui, cela devait quand même passer.
Pas très rassurant l’idée que ça puisse passer de justesse. Car, en plus du fait d’être bloqué, il y a aussi le problème du demi-tour et également le risque que l’âne, qui pourrait avoir un geste de peur, vous mette dans le ravin. Et je ne parle pas non plus de mon terrible vertige, mais ça…
La certitude n’étant totale, l’homme décide donc de m’accompagner jusqu’à l’endroit critique. Voilà une nouvelle bonne nouvelle ! Grâce à sa présence, mon âne grimpe cette fois sans broncher, la partie escarpée. « Et toc ! Et tu apprendras maintenant qui décide ! » Par la suite, une petite montée douce et agréable qui nous fait découvrir une pierre rouge qui tombe tout droit dans l’eau turquoise. Spectacle magnifique, mais qu’il faut plutôt, sur le moment, laisser aux oiseaux… pas un rebord, pas une rampe, rien qui vous isole du vide. Ne voulant pas me laisser gagner par le vertige, ou même simplement la peur, je me concentre sur mon chemin, regarde droit devant moi. Premier passage : ce n’est que ça ! En effet, c’est étroit, mais sur un mètre à peine ; les pattes de l’âne enjambent sans difficulté la zone périlleuse. Second passage : celui-ci est plus énigmatique, car la falaise tourne et l’on ne voit pas la suite. J’essaye de me renseigner auprès de mon guide. Comment c’est de l’autre côté ? “De l’autre côté ? Oh, mais non ! pas de problème ! C’est juste cette partie-là…” Cette partie-là ? Alors j’avance, je rase la falaise et l’âne aussi et je me retrouve rapidement de l’autre côté…
Et après ?
« Après ? C’est bon, il n’y a plus rien », m’assure mon guide. Et en effet, la suite fut une agréable petite balade de montagne qui me permit de rejoindre sans – autres – difficultés la plage.
La morale de cette histoire, bien sûr, elle ne peut pas être la même pour mon âne et pour moi. Depuis ce jour et jusqu’à maintenant, celui-ci n’a plus jamais refusé de prendre un chemin. Il faut croire que ça lui a servi de leçon. Quant à moi, je dirai qu’il doit y avoir un peu de philosophie dans tout ça, car les chemins des sentiers de montagne doivent peut-être parfois ressembler aux chemins de la vie. En tout cas, je continuerai quand même à remercier ce guide si inespéré et, sans lequel – je suis sûre – je n’aurais pas pu aller au bout de mon itinéraire. Comme quoi, il faut aussi croire en son étoile…
Commentaires
Quelle aventure, il est têtu comme un mulet ton âne ! Ca m'a rappelé des souvenirs, j'étais cet été du côté de Cargèse près de Poggiolo.
Merci pour le récit