Quand Chéri passe dans un village, il est assez habituel de voir des habitants ouvrir leurs fenêtres ou leurs portes et même aller à notre rencontre, seuls ou en famille, avec les enfants, le grand-père, le chien, etc. Mais des automobilistes qui s'arrêtent, en fin de soirée c'est plus rare... et c'est aussi l'espoir réconfortant que nous n'aurons pas à nous préoccuper longtemps du lieu de notre prochaine étape.
Nous allons à la rencontre du conducteur et apprenons que nous venons de passer, quelques kilomètres avant, devant sa propriété et son cheval, un trait breton. L'homme est de la région. Il est originaire de Bonneval. Le nom de cette ville nous fait prendre conscience que nous n'avons pas beaucoup avancé dans la journée. Frédéric, qui avait une grande tante originaire de Bonneval, de son côté, cherche à savoir si l'homme la connaissait. La conversation se poursuit dans des éclats de rires. "Mais oui ! Lucienne S... bien sûr !" Et ça lui rappelle de drôles de souvenirs d'ailleurs...
De mon côté, il me faut distraire Chéri en lui faisant des ronds sur la route. Notre âne ne semble pas comprendre pourquoi on était si pressé avant et, dès lors, immobiles, les pieds sur de l'asphalte, où il n'y a rien de bon à croquer.
Vient la question d'un lieu d'hébergement pour la nuit. Le conducteur a aussitôt une idée. Il nous désigne des bâtiments de fermes, visibles à l'entrée de Massuères. Il s'agit d'une ferme bio. Leurs propriétaires, très certainement, nous réserveront un bon accueil. Mais le conducteur a un doute. Il ne sait pas si les propriétaires sont sur place ou ailleurs, dans un de leurs champs. Il décide donc d'aller voir en premier. La voiture redémarre.
Peu après, nous arrivons à notre tour. Les agriculteurs – un couple – sont sur place et nous sommes les bienvenus.
La ferme, qui élève des volailles, en plus de son activité céréalière, est bien entretenue. Quelques moutons également, mais uniquement pour l'agrément.
Des panneaux solaires couvrent la totalité des toits des immenses hangars. Dans les hangars, des machines agricoles qui ressemblent à des engins de guerre.
Les volailles sont séparées selon les espèces. Nous attachons Chéri au poteau d'un des hangars et installons la tente, à côté, dans un petit jardin, près d'un parc à oies blanches. Les oies, dès qu'on s'approche de leur enclos, rentrent toutes dans leur abri, comme si la cloche sonnait la fin de la récré. Et dès qu'on s'éloigne, elles ressortent toutes. C'est bien des oies.
En plus de cet espace, nous apprenons que nous avons le droit à un accès à des toilettes et à un coin eau, dans un bâtiment qui sert d'entrepôt. Nous avons tout ce qu'il faut. De plus, la ferme bio vendant ses produits, nous allons même avoir le droit à notre première épicerie ouverte – pour ainsi dire – depuis le début de notre randonnée. On décide d'acheter du pâté ainsi que des œufs pour nous faire une omelette. Pour accompagner, du pain et un peu de cidre.
Mais avant le dîner, nous sommes appelés pour l'apéritif. Au cours de la discussion, nous qui habitons pourtant la campagne, allons de découvertes en découvertes. Les propriétaires sont en fait des métayers. Mais eux-mêmes louent une partie des toits des hangars qui comprennent des panneaux solaires, car on peut louer un toit sans le reste !
La discussion continua par un inventaire d'engins agricoles et industriels, jusqu'à la machine qui trie les lentilles. Il est vrai que – jusque-là – je ne m'étais jamais interrogée, en regardant mon assiette de lentilles, sur la façon dont on avait pu les trier.
Désormais, je ne verrai plus mes lentilles avec le même œil (je parle des lentilles qu'on mange, bien sûr !)...
Bref, on n'imagine pas tout ce qu'il peut y avoir comme connaissances et comme compètences derrière de telles activités. Les plantes, les animaux, l'alimentation, les machines, l'énergie solaire, les circuits économiques... avec l'obligation d'être à la fois au four et au moulin ! Une histoire de famille, d'un côté et, de l'autre, la gestion d'une entreprise très complexe.
La demande de produits bio est plus importante que l'offre, nous expliqua encore cette famille. Rien d'étonnant, quand on voit le travail que ça représente...
Précisément, nous savons que cette famille a des journées harassantes et décidons de ne pas trop nous attarder pour les laisser dîner tranquillement. Pour eux, la journée du lendemain commencera dès les cinq heures du matin.
Le dîner ne se fit pas aux chandelles, mais à la lampe électrique et sous un plafond d'étoiles (c'est aussi bien). Le pâté, l'omelette, le pain, le cidre... un régal !
Le lendemain, nous repartons tranquilles et guillerets. Nous sommes si décontractés que nous prenons la route sans faire attention aux panneaux. Et nous oublions tout simplement de tourner. Eh oui ! Même à pied, en faisant du 3 km/h (voire un peu plus), on peut louper une bifurcation !
Finalement, à Acclainville, nous retrouvons notre itinéraire. Petite pause déjeuner sur un banc, à l'entrée d'un village.
Nous reprenons la route et continuons notre avancée à travers la Beauce. Nous assistons alors à un spectacle inattendu. Des hectares de champs en feu – et sous surveillance, heureusement – Les flammes avançaient en ligne, dressant un rempart flambant.
Chéri observait le spectacle, lui aussi, le naseau dilaté. Ce feu devait peut-être un peu l'inquiéter, mais sans plus.
Notre carte annonce que nous devons rejoindre une rivière, mais une fois sur place, rien qui ne ressemble à un cours d'eau. La rivière est pourtant bien là, mais cachée par des arbres. Pas d'autres choix que de se l'imaginer.
La journée se terminant et Chéri manifestant quelques signes de fatigue, on décide de chercher un coin pour notre prochaine étape, d'autant plus que les villages ne sont pas tellement nombreux.
Nous atteignons Courbehaye. Le bourg est tranquille et quasi désert. Une tête apparaît dans une embrasure de porte. Nous demandons de l'eau – au cas où il n'y en aurait pas sur le lieu de notre prochaine étape – et en même temps nous nous renseignons pour savoir où mettre la tente. On nous parle alors d'un terrain municipal. Nous avançons et découvrons le lieu. Un espace vert bien entretenu, bordé par quelques arbres et buissons, mais en même temps, un espace ouvert à portée de regards des habitants.
Grosse hésitation. Peut-on vraiment s'installer-là, à la vue de tous, sans prévenir quelqu'un ?
(A suivre...)