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Titre du blog : Est-ce que je peux passer chez vous avec mon âne ?
Auteur : aupasdelane
Date de création : 06-07-2009
 
posté le 18-09-2017 à 12:28:14

LE MALHEUR DANS LE PRÉ POUR MON ÂNE TOMBÉ DANS UNE MARNIÈRE

 

 
 

 

   Photos : Ph H

 

            Mon  âne Chéri qui a posé ses sabots dans la cale d’un ferry, qui a  marché sur le trottoir étroit du pont de Tancarville, qui a traversé la Loire sur la planche d’un bac manuel, qui s’est retrouvé coincé dans le maquis Corse, qui a vu maintes fois des semi-remorques lancés à vive allure lui raser le poil et bien – qui l’aurait cru ? – mon  âne bourlingueur vient de vivre la pire de ses mésaventures. Et où ça ? Non pas dans la gorge d’un torrent, ni sur un bord de route fréquenté, ni même au milieu d’une forêt sauvage… mais chez lui, là où en principe il ne risque absolument rien : dans son propre pré d’été.


            Je présente la situation :  Chéri, un croisé grand noir du Berry de 17 ans, avec mes trois autres ânes et les sept chevaux trotteurs d’un éleveur peut gambader joyeusement dans un  pré de 8 hectares, pendant les 7 mois les plus chauds de l’année avec cabane pour l’abri et abreuvoir automatique. Outre une surveillance hebdomadaire de ma part, il y a celle, quotidienne, de l’éleveur, qui habite à proximité du pré.

 


            Mardi 29 Août, 9 heures 30, sonnerie du téléphone. A l’autre bout du fil l’éleveur. Un de  mes ânes est tombé dans une marnière. Je ne comprends rien au message. Comment il peut y avoir un danger, pour mes ânes, dans le pré qu’ils connaissent maintenant depuis la sixième année ? L’âne ne bouge plus, me précise mon interlocuteur qui se trouve sur place. C’est le choc. J’ai la voix qui tremble. Il serait donc… Mais tout à coup, une exclamation vive… mais non, il bouge ! il bouge ! Donc ok, je me dépêche, j’arrive, mais appelez les pompiers, le véto…

 

 

            Quand j’arrive sur place, les pompiers sont déjà là. Leur camion est entré dans le pré. Derrière le camion, je suis étonné de voir Kiki, mon âne blanc, tranquille sur ses quatre pattes à côté des deux ânesses, Philippines et Églantine… Je croyais que c’était à Kiki qu’était arrivé un malheur. Les pompiers l’ont déjà sorti de son trou ? Comme ils ont fait vite ! Mais au fait, où est Chéri, le quatrième de la bande ? Je cherche mon fidèle compagnon de randonnée et là, je comprends… Non ! Pas lui !  Aussitôt je me précipite vers l’endroit encerclé par les pompiers. Là, j’aperçois le trou, minuscule, à peine plus large que le contour d’une bassine. Et environ 3 mètres en dessous – soit la hauteur d’un  étage – dans la pénombre, je finis par apercevoir les flancs de mon pauvre âne, couché dans la terre. L’espace est si étroit qu’il n’y a même pas de place pour sa tête, qui est enfoncée sous une cavité.

 

 

            Mon âne a l’air d’être en sursis. Je suis effondrée. Tout est arrivé si brutalement. Des larmes me montent aux yeux. J'ai envie de crier mon désespoir. Non pas lui, c'est trop injuste. Il ne peut pas finir comme ça. Un pompier vient aussitôt me rassurer. Ne vous inquiétez pas ! On va le sortir de là !  Mais comment ? L’espace est si étroit ! Et si jamais il est blessé ? « On est des spécialistes… » me précise-t-il. Je retourne voir mon âne. Pas de doute ses flancs respirent de manière saccadée, signe qu’il doit bien stresser. En m’approchant tout au bord du trou, je vois même bouger le bout de ses oreilles. Mais en même temps, quel soulagement… il respire… il bouge…  Il est bel et bien vivant. C’est alors que des pompiers me somment de ne pas rester sur place. Le sol reste fragile à cet endroit et, en fin de compte, moi aussi je pourrais tomber.

 

 

            J’explique : les marnières sont d’anciennes carrières où l’on extrayait la craie dans les siècles passés. Jusqu’à ce jour, j’ignorais totalement qu’il y en avait une dans le pré. Ces cavités souterraines fragilisent le sol. Sous le poids de Chéri, qui est l’âne le plus lourd, le sol s’est effondré. Et l’âne avec. C’est un  concours de circonstance extrêmement malheureux pour que mon âne se trouve pile à cet endroit où le sol a été fragilisé, sans doute suite à des ruissellements de pluie. De toute évidence, c’est par l’arrière train que mon âne à dû tomber. Sans doute a-t-il cherché à se retenir avec ses antérieurs,  mais il a été entraîné par son poids et a dû tomber verticalement, sur son gros derrière, avant de réussir à retrouver une horizontalité en enfonçant sa tête dans une cavité.

 

 

            Une autre nouvelle me rassure : Chéri avait été aperçu avec les trois autres ânes, en pleine forme, la veille, à 20 heures 30.  Il n’avait pas pu se  trouver dans ce trou au-delà de douze heures, avant qu’on le découvre, les heures devant néanmoins lui paraître bien longues, à cet endroit…

 

 

            Ce matin l’éleveur était venu compter ses chevaux. Il en est venu aux ânes… Tiens, il en manque un… Il le cherche partout, va voir du côté des barrières… Peut-être qu’il s’est accroché à des barbelés. Une demi-heure après, toujours pas de Chéri. C’est alors qu’il voit une de mes ânesses, Philippine, l’entraîner dans une direction. Il la suit. Cette ânesse, si farouche habituellement, a voulu prendre les devants. Et là voilà qui se dirige pile à l’endroit du trou dans lequel se trouve Chéri. Aujourd’hui encore on se demande, comment, sans Philippine, on aurait pu retrouver mon âne sur huit hectares. On  aurait sans doute abandonné les recherches en pensant qu’il se serait échappé hors du pré. Quel cauchemar de penser qu’il aurait pu mourir sur place, de soif et de faim, faute d’être aperçu, mais comment imaginer une chose pareille !

 

 

            Le fait que Chéri soit resté totalement immobile est une réaction typique des équidés,  qui se mettent en état d’inertie lorsqu’ils se savent piégés. Ils ne cherchent pas à lutter. Ils abandonnent en se couchant sur le flanc. C’est aussi le cas des chevaux qui ont un membre blessé. La position couchée n’est pas du tout habituelle pour eux. Ils ont l’air d’attendre la mort. Ces comportements ont même fait dire, à certains éleveurs, que les équidés sont des animaux qui doivent avoir une religion.


            En tout cas, Chéri, bien que couché, a redressé son dos. Il semble  retrouver un peu d’espoir en entendant tout ce monde au-dessus de sa tête. Lorsqu’on est en randonnée, il adore ces instants où il réussit à créer des attroupements – ce qui fait beaucoup moins ma joie, à moi, c’est sûr – Les bains de foule, ce sont toujours plein de petites mains d’enfants qui le tripotent et avec ça, évidemment quelques gâteries à savourer…  S’il voit un groupe de personnes au loin, il peut se mettre à braire pour les attirer vers lui. Ça, c’est si je le tiens. Mais s’il est libre, à mes côtés, il n’hésitera pas à les rejoindre. Chéri associe toujours la présence des hommes à quelque chose de positif.  Donc, même s’il continue de stresser dans le fond de son trou, les voix au-dessus de sa tête doivent être quand même une belle musique, pour ses oreilles.

 

 

            Or, justement, des pompiers m’annoncent qu’ils attendent du renfort. Et là, rien à voir avec leur effectif ! Cela signifie qu’il va y avoir beaucoup, beaucoup de monde sur place !


            Donc nécessité de dégager les trois autres ânes. Pas de problème, le pré est séparé en deux parties. Mais sitôt les trois ânes évacués, Philippine, très inquiète se met à partir au grand galop dans un braiement plaintif. Pas question qu’on la sépare de son Chéri. Elle cherche une autre issue. A l’autre bout de la clôture de séparation, une porte est restée ouverte. Les trois ânes s’engouffrent dans le passage. Un quart d’heure après, ils se retrouvent à nouveau dans le secteur des pompiers. Finalement, on décide de les laisser là.

 

 

            Tout de la situation, complique les opérations. Un terrain peu accessible à cause d’arbres qui gênent. Un sol fragile et, enfin, un trou trop étroit, mais aussi  trop profond pour qu’on puisse déblayer à coups de pelles. La solution à laquelle chacun pense est de sortir l’âne verticalement, avec une sangle de maintien – telle une petite culotte – au niveau du postérieur. Mais descendre dans le trou et réussir à placer la sangle sous les fesses de  mon gros âne – avec son poids de croisé grand noir du Berry – sans qu’il s’agite, est une première difficulté. Ensuite, il y a le risque que l’animal glisse au moment de la montée, déjà parce qu’il paniquerait. Il faudrait donc d’abord l’endormir ou, du moins l’abrutir. Coup de fil à ma véto qui connaît déjà Chéri. Elle est en rendez-vous, mais devrait ne pas tarder à arriver sur place.

 

 

            S’ensuit un défilé de voitures et de camions : une quinzaine de véhicules environ, juste pour mon âne… J’ai honte tout à coup. Unité spéciale déblaiement, unité spéciale animaux. Un camion de pompiers vient du Mans, un autre de la Flèche, là où se trouve le célèbre zoo…  Puis la véto et même une brigade de gendarmerie, en raison de la circulation, relayée ensuite par une seconde brigade. Un tracteur arrive, également, pour un coup de main. Une cinquantaine de personnes sur place. Tout ça pour un âne. Première étape, il faut couper les arbres qui gênent. Des pompiers s’harnachent pour descendre en rappel dans le trou. Idem pour la véto. Entre-temps, au bout d’une corde on fait descendre un seau d’eau pour l’âne.

 

 

            Puis on vient me voir. Le plus simple serait de faire venir un tractopelle. Mais là, ce n’est pas gratuit. Évidemment, en plus de l’épreuve de voir mon âne au fond d’un trou, je vais devoir payer : le véto, la pelleteuse. Des dépenses aussi subites qu’imprévues qui vous tombent comme ça, un matin, sur un coin de tête. Mais vu que le reste est payé par les impôts, vu le déploiement des effectifs et, enfin, vu l’attachement que j’ai pour mon animal, la question ne se pose même pas : oui, bien sûr, il faut trouver une pelleteuse. Une entreprise du coin est contactée. Une pelleteuse est retirée d’un chantier : elle sera sur place dans une trentaine de minutes.

 

 

            Tout le monde attend l’arrivée de la pelleteuse. Ce jour là, il fait une chaleur accablante. Difficile de rester longtemps au soleil. On distribue des bouteilles d’eau. Heureusement, pour ainsi dire, mon âne, dans son trou, profite de la fraîcheur de l’ombre.

 

 

            On fait entrer l’énorme semi-remorque qui transporte la pelleteuse. Puis la pelleteuse est placée face au trou, mais pas trop près pour éviter la partie fragile du sol. La pelle va devoir retirer la terre juste au-dessus de la tête de Chéri, un exercice délicat. Je me demande alors comment va réagir mon âne. Une chance : il connaît déjà ce genre d’engin. Il a déjà eu l’occasion d’approcher des engins de travaux en action, à de multiples occasions, au cours de  randonnées. Il sait que ça ne représente pas une menace pour lui et il reste d’ailleurs assez placide face au vacarme de ces engins. Le fait qu’il connaisse devrait au moins lui éviter de paniquer complètement, cela dit, avoir les dents crochues d’une pelle qui nous rasent la tête, même à nous les humains, c’est un scénario assez terrifiant.

 

 

            Dans un vacarme étourdissant la pelleteuse se met en action. Un conseil est donné : « Attention, quand même, de ne pas lui taper sur la tête ! » L’autre danger est de provoquer un éboulement de terre qui viendrait recouvrir le dos de l’âne. La marge de manœuvre, en fin de compte, est vraiment étroite.

 

 

            La voûte de terre qui recouvrait la tête de l’âne est dégagée. Aucune panique du côté de ce dernier. Au contraire, on comprend que le fait de revoir le jour le requinque d’un regain d’espoir. Plein de confiance, il laisse la pelle le frôler, vient même approcher son nez pour la renifler… Il sait que cet engin bruyant et menaçant est ce qui va pouvoir le délivrer. En fait, il a tout compris.

 

 

            La pelleteuse parvient à ouvrir un chemin en pente. J’apporte le licol de Chéri. On tire sur la longe pour essayer de le relever, mais Chéri ne bouge pas. Si les pattes avant semblent alertes, ce n’est pas le cas de toute la partie postérieure, qui reste complètement immobile.

 

 

            De nouveau, une inquiétude vive, en ce qui me concerne. Je redoute la fracture, or on sait qu’une fracture grave sur les membres d’un équidé, est très compliquée à soigner. Puisque Chéri ne peut sortir de lui-même de son trou, il faut le sangler. Les sangles une fois placées, on actionne de nouveau le tractopelle. Tout doucement l’âne est soulevé hors de son trou. Les membres postérieurs semblent complètement inertes, mais une hypothèse est lancée : son postérieur qui a été enfoncé dans la terre depuis des heures doit être complètement engourdi, tout simplement. Une petite tape sur les fesses de l’âne, pour l’encourager à se redresser. C’est alors, à ce moment, qu’il nous fait son plus numéro : chancelant sur ses pattes, comme un ânon du premier jour, il parvient à se redresser. Applaudissements collectifs.

 

 

            Mon âne pue. Il est sale, les poils collés par la boue, amaigri. Ses yeux, aveuglés par la lumière du jour, s'ouvrent avec difficulté. Une jambe arrière, encore ankylosée, peine à se poser sur le sol, mais il est sain et sauf. La véto lui tâte l’arrière-train. Rien. Pas de fracture, pas le moindre bobo, juste la trace d’un frottement qui lui a arraché du poil au niveau des fesses.  Je le fais un peu marcher, pour qu’il retrouve de la force dans ses membres, mais quelques minutes après, c’est moi qui ait du mal à le retenir. Il a été rejoint par Kiki, Philippine et Églantine et semble fou de joie à l’idée de se retrouver en leur compagnie, dans son pré. La véto pensait le dialyser, mais étant donné la fougue dont il fait preuve, juste un traitement antibiotique devrait suffire.

 

 

            Il a fallu pratiquement quatre heures pour sortir l’âne de son trou. La marnière a été rebouchée et la zone voisine protégée par des fils, au cas où. Chéri ne semble avoir aucun traumatisme de cette mésaventure. On dirait même, au contraire, qu’il est devenu bien plus vaillant.

 

 

            Tout le monde connaît ce proverbe : « Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort ».  C’est peut-être vrai aussi avec les animaux. En tout cas, je me réjouis déjà à l’avance, à l’idée de repartir avec lui, une prochaine fois, sur les chemins.

 

 

            Bien sûr, mobiliser autant d’effectifs et autant d’unités spécialisés, toute une matinée, juste pour un âne, cela peut paraître excessif, mais comme m’a soufflé un pompier à un moment donné : « C’est bien qu’on puisse aussi servir au secours d’animaux… »

 

 

            A la fin de l’année, il faudra quand même que les gens de la Sarthe, pensent à acheter aux pompiers, contre quelques pièces, le calendrier de l’année 2018.  Sur une des pages, paraît-il, se trouvera une photo du sauvetage de Chéri.  

 

 

                                          Photos : Ph H


 
                                        Vidéo : Ph H

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 Film et photos : Ph H

  

 

                                Chéri, 3 jours après sa mésaventure

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 


 

 

Commentaires

soledad le 23-11-2018 à 13:04:48
Bienvenu Chéri, de retour sur le plancher des vaches