La randonnée, dès qu’elle nous oblige à quitter nos repères quotidiens plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois, n’est plus une simple petite promenade bucolique. Elle a de vrais dangers, souvent ignorés ou mésestimés par l’opinion publique. Ces dangers sont évidemment majeurs quand on randonne seul. Pour une randonneuse solitaire, contrairement à une idée reçue, les principaux risques sont dans la nature ou la circulation routière – et non pas dans les « mauvaises rencontres ». L’actualité, parfois, vient nous rappeler que la nature n’est pas simplement un joli décor de paysages. La course contre la montre pour retrouver le randonneur Simon Gautier, tombé d’une falaise, en Italie, ne peut pas laisser indifférent tout randonneur au long cours, tant il existe des situations périlleuses, notamment en montagne, surtout quand on est seul sur les chemins.
La priorité, déjà, est de se renseigner au sujet de la météo. Évidemment, quand un orage est attendu, il faut être prudent hors des zones urbaines, que ce soit en montagne ou dans de vastes plaines qui obligent à marcher à découvert.
Mais en vérité tout climat a ses dangers.
Une belle journée s’annonce ? Il faut alors penser aux fortes chaleurs. Casquette obligatoire, car il est rare de pouvoir randonner à l’ombre des feuillages ! L’eau de la gourde ne suffisant pas, on prend aussi des bouteilles. Mais il faut faire attention à ce que les bouteilles restent bien fermées et à l’abri de tout choc qui pourrait les éventrer.
Le soleil a disparu derrière les nuages ? Tant qu’il ne pleut pas, où est le problème du randonneur, peut-on se demander ? Les nuages peuvent en effet devenir un problème lorsque l’on hésite sur une direction. Avec le soleil, on sait où se trouvent les points cardinaux. Sans soleil, on peut ainsi perdre le nord, au sens propre du terme. De plus, un temps nuageux reste toujours un temps menaçant. Le fait d’apercevoir des nuages sombres crée toujours une tension chez le randonneur.
Il y a de la pluie ? Alors cette fois, il faut penser à la montée des eaux qui peut vous obliger à modifier votre parcours. Votre carte annonce un passage de gué, mais quand vous arrivez au lieu indiqué, le gué a disparu, pour s’être transformé en une large rivière aux courants rapides. Le demi-tour devient alors obligatoire. La montée des eaux peut aussi piéger des campeurs. Ne jamais planter sa tente près d’une rivière quand il pleut ou simplement, lorsqu’il y a un risque de pluie dans la nuit.
Il faut également tenir compte du contexte. La pluie, en montagne, peut provoquer des éboulis, surtout si elle est combinée au vent. Autre situation, cette fois en altitude, la pente est raide et le sol couvert d’ardoises. Avec la pluie, l’ardoise devient une vraie patinoire. Ce n’est pas pour rien que l’on utilise de l’ardoise pour les toits des maisons ! Mais pas besoin d’être en montagne pour patiner et patauger lamentablement : une boue argileuse peut rendre les chemins impraticables avec, en plus, un risque d’un bain qui pourrait faire le bonheur d’un éléphant, mais pas le vôtre !
La pluie a encore un autre effet pervers : celui de mouiller vos affaires quand les sacs ne sont pas hermétiquement fermés. Du coup, plus aucune affaire pour se protéger contre le froid, à la tombée de la nuit. La pluie peut encore bousiller les appareils électroniques et réduire en poudre le papier de la carte, si elle n’est pas bien protégée sous un plastique. Donc, à cause de la pluie, vous pouvez vous retrouver privés de moyens de repères.
Et si la météo prévoit du vent ? Tout le monde connaît la chanson : « Vent frais, vent du matin… » Mais le vent peut aussi jouer de sales tours au randonneur : Franchissement d’un pont. C’est précisément là que le vent viendra arracher chapeaux et casquettes qui seront aussitôt emportés dans la rivière. Mais le vent peut aussi faire s’envoler la carte, la nappe de pique-nique, votre unique billet de 50 €, le papier avec le numéro de téléphone et adresse du prochain gîte, et démolir la tente au milieu de la nuit…
En altitude, les rafales sont si fortes et si imprévisibles qu’elles peuvent également faire chuter le randonneur.
En forêt, il est très dangereux de randonner par temps de vent. De partout, des branches épaisses tombent depuis des hauteurs vertigineuses, quand ce ne sont pas les arbres eux-mêmes. Les arbres des forêts en pleine nature ne sont pas surveillés et élagués comme ceux des zones habitées.
Vent + pluie, on a vu, expose au danger des éboulis. Mais il y a aussi cette menace d'incendie liée aux conditions vent + sécheresse, lors d’une randonnée dans une forêt aride. Une fois l'incendie déclaré, même s'il est lointain, mieux vaut au plus vite regagner la vallée : vous risquez fort de ne pas pouvoir courir plus vite qu’un feu de forêt attisé par le vent !
Et que penser du brouillard ? Il est tellement habituel, en montagne. Le danger cette fois est double. Il est celui de ne pas voir, et donc de mal repérer son chemin, par conséquent de se perdre, avec le risque de se retrouver coincé dans des endroits impraticables, qui peuvent laisser craindre la chute. Mais il y a aussi le danger de ne pas être vu, notamment s’il faut marcher sur les bas-côtés d’une route en zigzag !
Ce n’est pas tout en ce qui concerne les aléas de la météo : il y a aussi, ce qu’on ne prévoit pas, la grêle, par exemple. Quand le grêlon atteint une taille importante, vous vous retrouvez littéralement lapidé, avec risque de blessures et possibilité de matériel saccagé. Il est surtout important, dans ce cas, de se protéger le visage.
Et la neige ? Impossible en plein été, selon vous ? Mais si ! En altitude, il peut neiger tous les mois de l’année ! Et vous pouvez aussi vous retrouver à marcher sur des névés. Aussi le randonneur qui n’a mis que des tee-shirts dans son sac à dos risque d’avoir de sérieux problèmes !
Voilà donc l’importance de la météo, mais il faut aussi prévoir que la météo se trompe. De plus, en altitude, le temps change très rapidement. Le passage d’un col, généralement, signifie un changement de climat : si sur un versant, on marche sous un ciel bleu et avec de fortes chaleurs, le versant opposé peut, en quelques minutes, nous plonger dans un brouillard et un froid glacial.
Bref, quand on part en rando, il faut prendre son maillot de bain et son anorak !
Généralement, le danger, en randonnée, n’est pas seulement dû à la météo. Il ne vient pas que d’un seul phénomène, mais de l’accumulation de mauvaises conditions. Aussi, quand on constate que les difficultés s’ajoutent les unes aux autres, il faut tout de suite opter pour la prudence.
Exemple : Vous vous perdez mais… le temps est clément, vous avez un bon stock d’eau et de nourriture, vous êtes équipé d’une carte et d’une boussole, vous avez du temps devant vous (vous n’êtes pas fatigué et la nuit ne va pas bientôt arriver) ; il y a, dans le secteur, des possibilités de s’abriter et la zone n’est pas complètement inhabitée : vous pouvez donc aussi espérer rencontrer quelqu’un pour vous renseigner. Enfin, le chemin reste praticable avec de multiples accès et vous avez l’espoir de tomber sur de nouveaux panneaux ou un nouveau balisage… Dans ce cas, votre égarement n’en est pas vraiment un. Pendant quelques minutes, voire une heure ou deux, vous errez un peu au hasard, mais vous allez finalement retomber sur votre route.
Autre contexte : Vous vous perdez mais… le chemin est difficile, vous avez peut-être un stock suffisant d’eau et de nourriture, mais vous n’en êtes pas sûr, et vous n’avez pas envie de vérifier parce que ça vous fatigue de le faire. De plus, il y a une tension qui se crée du fait que la météo annonce un changement de temps et il y a encore la crainte de se faire surprendre par la nuit. L’endroit où vous marchez est isolé. Aucune maison dans le secteur et vous n’êtes pas sûr que le chemin continue. Cette fois, il y a vraiment un danger. L’impératif est dans ce cas de négocier au plus vite un demi-tour pour revenir sur le parcours connu.
Généralement, dès que l’égarement laisse apparaître des complications, il faut se résigner, très raisonnablement, à un demi-tour. Cette décision n’est pas évidente : il va falloir perdre du temps, faire des kilomètres en plus… tout ceci pour rien !
La difficulté du demi-tour vient aussi de l’état psychologique particulier dans lequel on se trouve, lorsque l’on part ainsi à l’aventure, sur les chemins… On peut être pris dans une sorte d’euphorie, d’état second, qui fait que l’on se sent invulnérable. On n’a pas forcément conscience des risques que l’on prend. Et s’il y a de la fatigue, ou pire, de la panique, on peut aussi prendre des décisions à l’emporte-pièce, qui peuvent avoir ensuite des conséquences fatales.
La nature est piège, surtout en montagne. À vue de nez, le chemin que vous remarquez pique droit vers le village que apercevez au loin dans la vallée. Donc, en toute confiance, vous vous engagez. Bientôt, une végétation dense vient occulter l’horizon. Le village lointain disparaît de votre champ de vision. Le temps passe. Le chemin continue de vous promener dans son labyrinthe de feuillus. Ça commence à vous inquiéter. Une heure, puis une autre. Vous comprenez finalement que le chemin ne vous conduit pas dans la bonne direction. Vous êtes même parti à l’opposé, sur l’autre versant de la montagne ! Puis le chemin s’arrête brusquement : vous êtes dans une prairie, au milieu de nulle part. Plus aucun village à portée de vue et plus aucun accès, non plus. Voilà le genre de situation qui peut facilement arriver à un randonneur.
Autre éventualité : vous êtes perdu, mais pas de problème, vous marchez sur une route goudronnée. Vous pensez : cette route forcément, mène quelque part. Erreur ! Le goudron s’arrête soudainement. Qu’importe cependant, car il est suivi d’un charmant petit chemin de terre. Mais après quelques kilomètres, le chemin de terre se rétrécit et se transforme en chemin de pierre qui grimpe et serpente sur un flanc de montagne. Vous avez déjà passé tant d’heures et de kilomètres à marcher dans la même direction qu’il serait désormais vain de rebrousser chemin : mais le sentier se rétrécit encore, et vous devez marcher dangereusement au bord d’un précipice sans savoir si, plus loin, il y aura encore un accès.
Autre piège : on veut atteindre le sommet d’une montagne qui semble très proche : on évalue le trajet à une demi-heure, une heure à tour casser. Mais au fil de la marche, le sommet recule, les heures tournent et la pente devient de plus en plus raide et périlleuse.
Tous les randonneurs habitués aux longs parcours connaissent cette traîtrise des chemins qui s’éternisent, se rétrécissent insidieusement ou éloignent du point d’arrivée en donnant, au premier coup d’œil, l’impression du contraire. Avec un âne bâté s’ajoute une difficulté supplémentaire : certains sentiers en bord de corniche sont si étroits qu’il devient parfois impossible de pratiquer un demi-tour. C’est généralement la raison pour laquelle l’âne doit savoir reculer et il a intérêt à avoir appris la marche arrière avant que le problème se pose concrètement !
Mais s’égarer n’est pas le seul danger. Il y a aussi, tout simplement, le fait de méconnaître le chemin et ses obstacles. Des rochers tombés de la falaise ou des arbres couchés en travers du chemin peuvent tout à coup, sérieusement compliquer le parcours.
En montagne, on ne choisit pas entre 36 chemins. Et quand il y a un vrai sentier prévu pour la randonnée, celui-ci peut disparaître sur certains de ses tronçons, à cause d’une prairie ou d’un flanc rocailleux, et reprendre plus loin.
Nos pieds et nos chevilles ne sont généralement pas habitués à marcher sur des chemins irréguliers. On recommande généralement de grosses chaussures épaisses qui prétendent bien tenir la cheville, mais ces chaussures ont pour inconvénient de ne pas bien faire ressentir les reliefs du terrain. Elles donnent l’impression d’éviter les entorses, mais c’est loin d’être le cas. De plus, comme nous ne sommes pas habitués à avoir beaucoup d’épaisseur sous la chaussure, il y a le risque de ne pas lever le pied assez haut et, paf ! c’est le mauvais croche-pied garanti. Perso, je me suis fait traiter de folle et d’inconsciente, parce que je partais randonner en montagne avec des chaussures basses. Mais je pratique un petit échauffement des chevilles au départ et, à l’arrivée, petit massage aux endroits endoloris. Résultat, je ne me suis jamais tordue une seule fois la cheville !
Les chemins sont pourtant très risqués pour nos pieds. Des cailloux ronds glissants, des arêtes de rochers acérées, des racines d’arbres sournoises, des passages étroits et escarpés… et parfois, à côté… le précipice ! Dans certains coins des Pyrénées, j’ai le souvenir que les journées de randonnée se faisaient avec le ronronnement permanent des hélicoptères, qui ne cessaient d’aller et venir pour récupérer les randonneurs blessés. Dans les refuges on apprend les signaux qu’il faut faire avec les bras, aux hélicoptères à l’approche, soit pour dire que tout va bien (un bras en l’air, un bras baissé) soit au contraire, pour demander de l’aide (deux bras en l’air).
Les accidents de randonnée ne sont pas rares. Il faut se méfier de cette nature, si belle à regarder, si extatique. Les espaces inhabités, inexploités, sans réseaux et sans moyens de recharger son téléphone, sont toujours beaucoup plus importants qu’on se l’imagine, même en France ! Une glissade sur une pente, peut faire tomber vos affaires dans un ravin, et si c’est vous qui glissez, il faut vite trouver les moyens de se rattraper, avant que la vitesse de la chute s’accélère. Le danger peut encore venir des insectes et animaux, qui ne sont pas toujours dociles. Les morsures de vipères, les piqûres de frelons, la fougue d’un cerf ou d’un sanglier qui charge, sans compter, dans nos Pyrénées, le danger de l’ours…
Mais le péril peut aussi venir de nous-mêmes. Même prudent et aguerri, un randonneur peut toujours se faire piéger. Il suffit simplement d’un instant de distraction alors que le moment, sans qu’on puisse encore le savoir, est très critique.
Quelques conseils si l’on se perd :
– Regarder déjà la place du soleil dans le ciel, s’il n’y a pas de nuages.
– Tenter de repérer les poteaux électriques ou téléphoniques. Se méfier des routes ou des chemins qui sont sans ces poteaux.
– Repérer les cours d’eau importants : ils sont susceptibles de passer par des lieux habités.
– Prendre le temps d’écouter. Les premiers contacts avec la civilisation sont généralement sonores : clochettes de vaches, aboiements d’un chien, bruit de fond d’une route. Mais il faut se méfier de l’écho qui rend difficile la localisation.
– Si une personne passe alors que vous êtes dans un endroit isolé, ne surtout pas louper l'occasion de l'arrêter pour lui demander le chemin. Car il vous est possible de marcher plusieurs jours sans voir quelqu'un !
– Si on cherche de l’eau, jeter une pierre du haut d’un ravin, pour voir si elle tombe dans une rivière.Sinon, si on approche d'un village, les cimetières sont des endroits où l'on est toujours sûr de trouver un robinet.
– Sur le chemin, tenter de repérer les traces de pneus, de pas ou de sabots. Des sabots de chevaux ferrés ou des traces de pattes de chiens, c’est évidemment mieux que des sabots de chevreuils ! Généralement des pâtés de crottins viennent rapidement confirmer le passage de chevaux. Même s’il s’agit de chevaux sauvages, leur trajet peut-être utile, car nous sommes sûrs de pouvoir aller où ils passent. Aussi, il peut être intéressant de repérer au loin les endroits par lesquels les chevaux se faufilent pour rejoindre la vallée.
– Au sujet des animaux sauvages, leur présence peut signifier la proximité d’un point d’eau.
– Il faut voir encore dans quel sens sont penchés les arbres, la direction du vent indiquant souvent l’ouest.
– Voir encore de quel côté du tronc pousse la mousse : il s’agit cette fois du côté nord.
– Des avions qui descendent en altitude vont pouvoir encore indiquer la direction d’une grande ville.
– Dans un cas extrême, où il s’agit d’alerter… Mettre des vêtements rouges ou un gilet fluo, baliser le chemin, tenter des signaux avec une lampe de poche, un miroir, un feu…
Une pensée pour Simon Gautier, en espérant que le dénouement ne sera pas tragique.
Commentaires
Je pense à ce jeune homme français qu on cherche en ce moment en Italie