Voici donc les premiers commentaires de cette grande virée dans le sud de la France avec un âne et 1 € symbolique.
Mais je vais d’abord commencer par la fin pour vous faire part des émotions du retour. Dès que je me suis approchée d’Ajaccio, un cafard terrible. Et avec ça, l’idée qu’il allait bien y avoir quelque chose pour m’empêcher de revenir. D’un côté, je veillais scrupuleusement à ce que le retour puisse se faire dans les meilleures conditions ; de l’autre j’espèrais avoir une bonne excuse qui m’obligerait à prolonger mon séjour.
Au fond, j’avais l’impression de ne pas avoir assez profité de la Corse ; mais peut-être aussi que je refusais purement et simplement l’idée d’un retour et d’une fin de voyage. Si je vous parle de ça, c’est parce que beaucoup de personnes ne comprennent pas mes motivations et pensent qu’il faut être maso pour entreprendre ce genre d’aventure.
Mais voilà, c’est une aventure... le mot est lâché. Dans le voyage touristique ordinaire, tout est organisé, y compris nos désirs et envies. Et avec ça, une condition essentielle pour réussir nos vacances : l’argent. Celui qui a l’argent devient client et, comme chacun sait, le client est roi. Toute l’année, le touriste lambda est un valet qui doit obéir aux ordres de ses rois. Aussi la période des vacances devient-elle le moment où le valet devient roi (ou du moins le fait-on croire) et peut imposer aux uns et aux autres ses désirs. En fin de compte, insidieusement, nous avons renoué avec l’ancienne tradition romaine des Saturnales qui avait pour coutume d’inverser les rôles sociaux à certaines périodes de l’année. Donc, une façon de voyager qui est devenue totalement artificielle : les structures touristiques ont surtout tendance à encourager les voyageurs a être passifs, paresseux, dépensiers et arrogants. Voilà donc à quoi il ressemble notre client-roi.
Quant à ceux qui les accueillent, pour beaucoup le touriste n’est généralement qu’un porte-monnaie. A ce sujet, il ne faut pas oublier que l’argent est une richesse artificielle ; aussi juger quelqu’un à son compte en banque, c’est comme le juger à sa couleur de peau : on considère seulement des apparences sans tenir compte des qualités humaines qui sont derrière. Alors oui, bien sûr, parfois j’ai eu le droit à des accueils peu aimables, voire exécrables, simplement parce que je n’avais pas d’argent. Mais en même temps, que peut-on regretter face à de tels comportements ? Rien, bien sûr. Car comment regretter le fait que certains révèlent leur vrais visages ? on est surtout content de ne pas avoir été dupe, voilà...
D’après moi, pas de liberté plus grande que celle qui vous permet d’être jugé selon vos qualités. Simplement, parce que cela vous donne le droit d’être vous-mêmes. Et pas de liberté plus grande que celle qui vous permet d’être vous-même. Du coup, cela vous donne de l’audace, du courage : vous avez envie d’agir, de réagir et l’effort ne vous fait pas peur, pas plus que la perspective de passer par certaines épreuves... Et c’est donc cela qui vous donne une envie d’aventure et rien d’autre.
Ces réflexions un peu philosophiques pour vous expliquer justement les différences au niveau des émotions. Quand on devient simple touriste, les aspects artificiels qu’imposent les règles touristiques et notamment le rapport à l’argent empêchent les véritables émotions. Vous découvrez des gens et des paysages sans être particulièrement touché. Et la fin des vacances est presque un moment ordinaire qui désole plus qu’il n’attriste.
Dans ma façon de voyager, ce n’est pas du tout le cas. Le fait de s’engager dans ce genre d’aventure crée une charge émotionnelle très forte. Déjà, je dirais, dans le contact humain. Le moment où l’on rencontre quelqu’un s’apparente toujours à un moment important. De même, la possibilité de partager quelques jours mes experiences de randonnée, crée aussitôt, pendant ces quelques jours une atmosphère festive. Souvent on m’a demandé si je ne me sentais pas trop seule en voyageant ainsi. Pas du tout. C’est comme si j’allais d’une fête à une autre.
Un souvenir marquant : la première fois que j’ai aperçu un volcan. C’est certain, de la fenêtre d’un train ou d’une voiture l’effet n’aurait pas été le même. Là des jours et des semaines de marche à attendre cette vision. Et puis tout à coup, juste en face, vous le voyez. Que s’est-il passé entre ce moment et celui d’avant ? Vous avez juste fait quelques pas de plus. Rien d’autre. Et au moment vous ne l’attendez pas, vous relevez machinalement la tête et dans les teintes bleutées de l’horizon, tout à coup cette silhouette de montagne avec la forme évasée de son cratère. Cela vous scotche sur place. Vous êtes bouleversé.
Moments similaires lorsque tout à coup, dans l’échancrure d’une montagne, on découvre le bleu de la mer.
Le volcan, la mer, ce sont là de véritables repères géographiques, qui parlent plus que des noms de villes ou de départements.
En Corse, ce que j’ai pu notamment découvrir, c’est l’effet d’éloignement et d’isolement de l’île. Et le fait que ce soit une île avait une énorme importance pour moi. Il faut dire qu’il y avait de quoi. Je suis arrivée en Corse sans avoir la certitude d’une solution pour quitter l’île. Déjà, même pas sûre d’avoir de quoi payer mon billet retour. Ensuite, aucune certitude sur le fait d’être à nouveau acceptée sur un ferry et à cela, il faut ajouter les difficultés que j’allais de nouveau rencontrer pour faire rentrer l’âne à l’intérieur du Corsica. Bref, une véritable impression d’enfermement qui n’était d’ailleurs pas qu’une impression.
Cet enfermement, paradoxalement, ne m’a posé aucun problème. Puisque mon retour devenait incertain alors j’étais dans une sorte de voyage dont la fin restait imprécise. A ceux qui me demandaient si mon âne était Corse, je leur répondais : ça dépend. Si je n’arrive pas à quitter l’île, au bout d’un an et un jour... Bien sûr c’était de l’ironie, mais l’idée de pouvoir repousser les limites de ma randonnée a fini par me tarauder. D’un côté, il fallait absolument que je me dépêche de rentrer : du point de vue matériel, ça commençait à craquer d’un peu partout. Les fers de l’âne notamment. Sur deux pieds, les fers étaient en train de se fendre. Sur un troisième pied, il risquait de se barrer. De plus, j’étais attendue. Pas que pour des choses agréables : des tas de factures à payer... Mais il y avait aussi un autre point de vue. Je ne recommençais pas le travail aussitôt. J’avais encore une semaine de libre et comment ne pas chercher à profiter un peu plus d’un voyage aussi merveilleux et aussi exceptionnel ? De toute façon, rester plus longtemps ne me coûterait pas plus cher...
Lorsque j’ai débarqué avec l’âne à Toulon, le van était là. Chéri le connaissait déjà ; c’était son van ; celui qui allait le ramener à la maison. Donc, en principe, aucun problème. Il suffisait de taper dans les mains et en deux secondes il serait déjà dedans. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Il n’a pas voulu rentrer. D’un coup de tête il m’indiquait la suite du chemin : allons par là, continuons à nous promener... allons au bout de cette rue... c’est sûr un peu plus loin, il y aura un peu d’herbe et un pré, juste ce qu’il faut pour manger et dormir... Nous avons dû nous y mettre à trois, et utiliser les cordes et le bâton.
L’âne qui est revenu de près de deux mois de randonnée n’était nullement amaigri, abattu et affaibli, bien au contraire : il avait une vigueur d’athlète, un corps musclé et un peu rond, et un air bien éveillé. La tête haute, les narines dilatées, il n’attendait qu’une seule chose à la sortie du ferry : découvrir de nouveaux horizons.
Il n’y avait pas que moi ; lui aussi s’était habitué au rythme des jours de randonnée. Visiblement, il n’avait pas envie que ça s’arrête.
Quand il est arrivé dans son pré, il a voulu fuir tout le monde. J’essayais de l’approcher, il se retournait et s’éloignait : pas de comportement plus significatif pour dire qu’il m’en voulait. Peu après, je l’ai retrouvé couché sur le sol dans une étrange position : il avait allongé ses pattes avant et restait le nez baissé, caché entre ses pattes. Le seul fait de le voir ainsi m’a fait monter les larmes aux yeux : c’était clair qu’il déprimait.
Pour moi, pendant 24 heures, ce furent des larmes qui me venaient à tout moment dans les yeux. Impossible de me faire à l’idée que c’était bel et bien fini. Pas possible non plus de regarder les photos ni images filmées sans avoir un gros pincement au cœur. Pendant deux jours, je suis restée secouée... rien à voir avec une fin ordinaire de voyage.
Quelques uns de mes amis m’ont fait cette remarque : tu nous fait le coup chaque année. Ce n’est pas faux. Mais c’est bien la première fois que je rentrais à contre cœur et le fait que l’âne semble exprimer la même chose, accentuait cette impression.
A l’heure actuelle, je peux dire que tout va bien. La tristesse est partie et les habitudes ont repris. Chéri est content d’avoir retrouvé Philippine, une petite ânesse qui partage son pré, quant à moi, me voilà emportée dans le tourbillon des choses à faire.
J’ai finalement accepté mon retour, même si je me dis que j’aurais quand même dû essayer de rester en Corse une semaine de plus.
Outre les films et photos que je vous présenterai ultérieurement, il y aura aussi un détail des sommes dépensées et de tout ce que j’ai pu recevoir des uns et des autres. Autrement dit, ces premières pages ne sont que le commencement d’un petit livre internet destiné à raconter ma traversée. Les avis, commentaires, critiques ou questions ne sont pas interdits.
Commentaires
Bonjour,
je fais des montages photos a partir de vos photos perso,si l'envie vous dit, vous pouvez faire un p'tit tour sur mon blog...
Bonne journée...A bientot..
Je comprends...
La vrai vie, ça devrait-être : les voyages, les rencontres, les découvertes...etc...
L'île Corse ( je connais aussi un peu maintenant est magnifique, les habitants authentiques et n'oublions pas, les ânes y sont sacrés...
Bon courage et groos bisous.
Carine.
C'est passionnant, la façon de raconter mais surtout d'analyser tes sentiments et ce même ressenti chez ton âne...
Le regret de la Corse sera sûrement le moteur d'une autre fois...
A bientôt
coucou,
et bien vous voici de retour au bercail...
je comprends, ce n'est jamais gai de devoir reprendre le chemin du retour
et de devoir reprendre le "train train " quotidien
et surement encore plus quand on a vécu aussi intésément que toi
allez, dans pas longtemps tu te mettras à repenser au prochain voyage loll
bonne soirée à toi et une caresse a "Chéri"
bisous