“Argent trop cher ” nous disait le groupe Téléphone. Voyager avec 1 € symbolique, c’est prendre le contre-pied de tout ce qui se dit aujourd’hui au sujet de l’argent : on ne peut pas vivre sans argent ; on ne peut pas être heureux sans argent ; l’argent est indispensable à tout. Quant aux vacances, n’en parlons pas : impossible – pense-t-on – de profiter de moments agréables si on n’a pas, préalablement, la somme nécessaire qui fait de nous le parfait con–sommateur. Mais soyons logique : n’est-il pas parfois plus absurde de justifier une dépendance systématique à l’argent plutôt que le contraire ? Pour illustrer ma remarque, je vais vous donner l’exemple d’une anecdote du voyage qui me parait significative.
Déjà huit jours que je randonnais et me voilà dans la jolie ville de Miremont en Auvergne. Au moment où j’arrive, j’ai le réflexe de regarder ma montre : 18 h. pile. Donc, en principe, pas de souci à me faire pour trouver un endroit pour m’installer avant la tombée de la nuit. Ici, pas d’accueil fracassant, la population locale est déjà habituée à voir des randonneurs passer avec leurs ânes. En même temps cela diminuait mes chances de me faire héberger car, bien sûr, on me prenait pour un de ces randonneurs du coin qui souvent, ne voyageaient pas plus que quelques jours avec des ânes loués et selon un trajet établi. Moi-même, je m’étais basée sur les plans de l’asinerie Volc’âne, et c’est aussi pour ça que je me retrouvais randonneuse parmi les autres randonneurs asiniens. Cependant, les plans de l’asinerie m’indiquaient un endroit intéressant : il s’agissait, en sortie de ville, d’un pré destiné à accueillir les ânes de randonnée. Donc, déjà pour moi, l’idée d’une solution : mettre l’âne dans le pré et trouver le moyen d’installer la tente soit avec l’âne, soit à côté du pré. Seulement, je devais d’abord demander l’autorisation de m’installer et donc chercher à savoir à qui m’adresser.
Après m’être renseignée çà et là, j’apprends que je dois aller voir la gérante de l’épicerie, laquelle s’occupe également du camping de la ville et du pré pour les ânes. Donc, je vais à l’épicerie en pensant qu’il s’agit là d’une simple formalité de quelques minutes. Mais arrivée sur les lieux, je me rends compte bien vite que je vais devoir attendre un peu plus longtemps que prévu. Entre deux clients, j’arrive à expliquer à la gérante qui je suis et ce que je souhaite, mais au lieu de me donner le feu vert, elle me dit qu’il faut discuter de cela et me propose de patienter le temps de servir les derniers clients. Pas de problème : normal que je laisse cette femme faire son travail, j’attends donc. Mais en cette fin de journée les clients affluent et il me faut patienter une demi-heure avant de pouvoir discuter à nouveau. Là, la gérante m’apporte quelques précisions : le pré des ânes appartient à la municipalité et il est en principe réservé aux campeurs, bien que le pré soit à l’opposé de la ville par rapport au camping. Cependant la gérante de l’épicerie me rassure en me disant que je devrais normalement pouvoir m’installer dans le pré, néanmoins il est quand même nécessaire d’appeler la mairie. Mais entre temps, d’autres clients sont arrivés et, de nouveau, il me faut patienter. Donc, pendant ce temps-là, je change l’âne plusieurs fois de place, je prends son seau pour lui donner à boire, je mets un peu d’ordre dans les sacoches, bref j’essaye de tuer le temps. Quand la gérante réussit à passer son coup de fil, il est déjà plus de 19 heures, et là j’apprends que cette fois c’est Madame le maire de Miremont qui souhaite me rencontrer. Dans le genre de randonnée que j’entreprends il peut arriver, en effet, que des maires se déplacent pour venir me voir et j’en suis toujours flattée, mais pour discuter de l’emplacement de ma tente dans un pré, je trouvais ça un peu excessif. De plus, je devais de nouveau attendre. Aussi, petit regard de compassion pour mon âne qui continuait à porter – inutilement – tout le bardas sur son dos ; lui aussi, visiblement, en avait assez. Au passage, il tenta même une petite fugue mais fut rattrapé par des clients de l’épicerie.
De son côté, la gérante de l’épicerie commence à comprendre que le temps est un peu long pour moi. Elle me conseille finalement de ne pas continuer à attendre le maire, d’autant plus que d’autres campeurs avec leur âne se seraient déjà installés d’eux-même dans le pré (comme quoi, il paraissait presque inutile de demander une autorisation). Je n’avais donc qu’à y aller moi-même et le maire pourrait me retrouver sur place.
Nouveau coup d’œil sur ma montre ; il était presque 7 heures et demie : déjà une heure est demie à faire le pied de grue pour deux mètres carré de tente ; difficile d’admettre que les désirs de l’âne devenaient prioritaires sur ceux de Madame le maire, mais en effet, il ne servait à rien d’attendre encore, donc je suis partie en direction de ce fameux pré municipal. En chemin, une voiture qui s’arrête à ma hauteur : c’est elle, accompagnée sans doute d’une adjointe. Et là, stupeur : dans un sourire mi-crispé, cette élue municipale m’annonce que je ne peux pas m’installer dans le pré si je ne vais pas ensuite dans le camping. Je lui explique alors que ce n’est pas ma façon de voyager, puisque je suis partie seulement avec un euro. Qu’importe ! Il fallait que je paye... D e toute façon comment je pouvais faire pour voyager sans dépenser ?
C’était une chose impossible... Je lui rétorquais qu’elle avait alors devant elle la preuve vivante que c’était possible ; depuis une semaine j’étais sur les chemins et je n’avais pas dépensé un seul centime et même pas éprouvé le besoin de le faire : bref, j’avais réussi à compenser les plaisirs de la dépense par d’autres plaisirs et me sentais en pleine forme dans ce genre de voyage.
En guise de réponse, silence des deux femmes qui semblaient me faire comprendre que la situation était embarrassante. Mais elles devaient voir également les autres randonneurs qui s’étaient déjà installés dans le pré. Donc, elles me laissent en plan sans me dire ce qu’elles ont décidé pour moi.
En fin de compte, j’avais quand même compris : si Madame le maire ne m’avait pas répondu, c’est parce qu’elle avait pour seul argument, celui de la montre. Vu l’heure, il était en principe impossible que les randonneurs refusent de payer le camping, puisqu’ils n’avaient plus d’autres solutions pour s’installer : l’heure étant favorable à la récolte des euros, Madame le maire s’était donc mise à l’œuvre, et elle était allée voir les autres randonneurs pour la même raison.
Cependant, quelque chose m'échappait ; je lui avais dit que je n’avais sur moi qu’un seul euro. L’argent, ça ne pousse pas : à quoi cela servait-il d’insister pour que je paye un camping que je ne pouvais pas payer ? C’était logiquement impossible. En fait, j’avais déjà réussi à récolter de l’argent en chemin, notamment en vendant mes livres, mais ça je m'étais bien gardée de le dire... Aussi, il fallait me rendre à l’évidence, cette femme voulait m’obliger à donner mon unique euro, peut-être parce que, pour elle, il était tout aussi symbolique de devoir payer.
Un peu d’hésitation de ma part et je me décide quand même de continuer à me diriger vers le pré, ne serait-ce que pour tirer la situation au clair. D’accord, je ne dépensais rien, mais ce n’était certainement pas une raison pour que je sois mal accueillie. Surtout de la part d’un maire.
Le pré n’était pas visible de la route, mais j’ai aperçu la voiture de la représentante garée sur le côté et un peu plus loin des voix qui venaient d’un sous-bois. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre qu’on parlait de moi. Et là, curieusement, le problème n’était plus du tout celui du pré mais celui de mon refus de dépenser ; d’ailleurs Madame le Maire s’était renseignée auprès de l’épicière et avait su que là non plus je n’avais rien payé. Pour elle, le fait que je refuse d’acheter dans l’épicerie était quelque chose de vraiment fâcheux ; bref, tous ceux qui passaient dans sa ville étaient contraint de dépenser : elle ne voulait voir le touriste que comme un porte-monnaie.
Les deux personnes de la municipalité finissent par m’apercevoir et aussitôt, le bavardage s’arrête. Madame Le Maire me signale alors qu’elle vient de faire payer les randonneurs installés dans le pré et donc, si moi aussi je tiens à me mettre là, il me faut débourser. Je commence par la fixer, les yeux écarquillés : ai-je bien compris ? Cette personne qui est sensée représenter sa commune est en train de m’inventer sur le champ, c’est le cas de le dire, un petit commerce pour touristes : ce n’est plus le camping qu’elle fait facturer, mais l’installation dans un pré. Pour cela, bien sûr il lui faut elle-même décider du tarif. Aussi, elle ajoute comme argument qu’il faut payer, au propriétaire du pré, l’herbe que les ânes consomment. Tiens donc ! Le pré qui appartenait à la municipalité devient, en l’espace d’une heure, un pré privé. Dans ce cas, la solution est simple, je peux essayer directement de m’arranger avec le propriétaire du pré. Mais là, pas possible, le proprio n’est pas présent, il n’est pas joignable, et puis il y a eu des conventions de faites...
Un moment je décide d’arrêter net ce sketch. J’explique à cette élue locale que je suis arrivée dans sa ville à 18 heures et que, ce n’est pas normal d’attendre presque deux heures pour savoir que je n’ai pas le droit de m’installer dans un pré sans payer. J’ajoute à cela que je ne cherche absolument pas à revendiquer une place dans ce pré et que si on ne m’accepte pas en un endroit, je cherche une solution ailleurs.
Réponse de l’intéressée : "ah mais non, impossible, car ici le camping sauvage est interdit."
Autrement dit, pas question pour cette personne de me laisser le choix. Du moins le croyait-elle. Mais je n’avais aucunement l’intention de débourser pour mon logement et encore moins sous la contrainte. Aussi, ma décision fut catégorique : pas question de débourser un seul centime, je vais ailleurs...
Attitude sidérée des deux femmes ; elles avaient tout prévu sauf que je puisse leur échapper. Du coup, retournement subit de la représentante : finalement, elle était obligée d’accepter parce qu’elle ne pouvait pas me laisser partir, comme ça, avec mon âne à la tombée de la nuit et, sans argent...
Cette fois, c’est de ma part qu’est venu le refus : ce n’était pas dans mes méthodes de contraindre les gens à m’offrir des services et donc je refusais net quand ce n’était pas proposé de bon cœur.
“ A cause de votre décision, vous me faites jouer le mauvais rôle ” a alors constaté l'élue.
Prenait-elle enfin conscience de l’absurdité de son comportement qui la rendait aussi ridicule qu’impitoyable ? Il est clair que ma présence et mon projet de voyage l’avait sérieusement perturbée. Je ne sais pas comment cette personne se comporte habituellement mais, il est évident que son mental avait été complétement formaté par cet idée que l’argent devait être une valeur absolue à laquelle il n’était pas possible de déroger. Aussi, le fait que je me permette la liberté de voyager sans moyen financier devait lui sembler tout simplement insupportable. Et cela au point de déraper dans son comportement.
Car il faut encore connaître la suite, pour se rendre compte de l’attitude extrême de ce comportement.
Le lendemain j’ai pu rencontrer les randonneurs à qui elle avait demandé de payer. C’était une famille hollandaise : un couple et trois jeunes enfants. Peu habitués au côté pinailleur des lois française, ce couple s’était installé sans se poser de questions. Ils avaient planté la tente dans le pré de l’âne et aussitôt après, ils avaient couché leurs enfants.
C’est alors qu’est arrivée Madame le maire et, sur ordre de celle-ci, ils devaient se rendre au camping. Oui, vous avez bien compris, cette élue politique a demandé à ce que les enfants soient réveillés et rhabillés, à ce que la tente soit repliée, toutes les affaires remballées et l’âne rebâté... Elle a insisté, paraît-il mais le couple, lui, a campé... sur ses positions : pas question de réveiller leurs enfants qui avaient commencé leur nuit et donc pas question de déménager.
Madame le maire n’a pas eu le choix ; elle est repartie bredouille et la famille hollandaise n’a pas eu à payer. Mais ça, bien sûr, je ne devais pas le savoir ; il a donc fallu qu’elle m’invente un gros mensonge comme une petite fille. Ridicule.
Maintenant, vous avez peut-être envie de savoir ce qui m’est arrivée par la suite.
J’ai continué à marcher sur la route. Ce n’était pas l’itinéraire prévu puisque normalement, le lendemain, je devais prendre un chemin. Mais après un coup d’œil sur la carte, je me suis rendue compte que la direction me convenait. Cependant, aucune possibilité d’atteindre un village ou une ville avant la tombée de la nuit. La route montait en serpentant doucement. Je ne faisais que longer d’épaisses forêts peu praticables pour le bivouac. De plus, j’avais retenu qu’il était interdit de faire du camping sauvage dans Miremont, aussi il valait mieux que je quitte la commune. Pour mon âne, cette promenade tardive semblait être une déception supplémentaire dans sa journée ; il avançait le nez baissé et en traînant le sabot, ce qui a fini par m’énerver ; petits coups de baguette sur les fesses. La situation était déjà assez limite, il fallait éviter de l’aggraver. Mais curieusement, je n’étais pas folle d’inquiétude. Car en fait, je tenais déjà le début d’une solution d’hébergement. En effet, comme elle l’avait elle-même remarqué, Madame le maire avait joué le mauvais rôle. Et en fin de compte, cela avait été si caricatural que c’est elle, finalement qui, à son insu, allait pouvoir m’aider. Car, dans le fond, il suffisait que je raconte ce qui m’était arrivé pour avoir bon espoir d’émouvoir les premières personnes que j’allais rencontrer en chemin.
Ça, c’était pour la théorie. Mais il fallait encore que je réussisse à trouver quelqu’un. Et là, tout à coup, à environ deux kilomètres de Miremont, une ferme bio qui faisait aussi camping : la ferme de La Boisse. Négocier la gratuité dans un camping n’était peut-être pas la chose la plus évidente, mais je décide quand même de tenter. Là, mon arrivée a créé une soudaine effervescence et fut cette fois sans rapport avec ce que j’avais connu précédemment. Sans un soupçon d’hésitation la gérante du camping accepta de me loger gratuitement avec mon âne. Elle m’installa un peu à l’écart des autres campeurs, à un endoit où l’âne aurait de quoi manger. En plus de ça, elle me fit cadeau d’un fromage de chèvre de sa production et de pain. Les estivants du camping furent eux-mêmes très généreux, les uns apportant du pain pour l’âne, les autres me passant de l’argent et une famille décida même de m’offrir la douche. Bref, j’avais eu beaucoup mieux qu’un simple pré et, pour le même prix, s’il est possible d’ironiser de cette façon.
L’histoire de Miremont est en fin de compte le seul cas où j’ai été ennuyée à cause de ce choix de voyager sans dépenser. Quelques grincements de dents, dans certains cas, où il a fallu négocier la gratuité, mais de mon côté je n’ai jamais cherché à trop insister. Quelques commerçants qui ont fait la gueule en me voyant passer sans dépenser, mais rien de plus... La plupart du temps, on avait le geste généreux et on ne cherchait pas à grapiller des euros dans ce que l’on me donnait. Dans certaines villes touristiques un peu bourgeoises, il arrivait qu’on dédaigne la vagabonde que j’étais ; on passait devant moi l'air de rien, ce qui était à la limite normal pour moi, mais curieux vis-à-vis de l’âne. Donc les gens passaient en faisant mine de ne pas voir l’âne; c’était à mourir de rire. Cependant, dans ce cas, ce n’était mon euro symbolique qui était la cause de ce comportement, mais l’âne. Les touristes confondaient ma condition de voyage avec ma condition réelle et le fait de voyager avec un âne laissait croire à quelques simples d’esprit, que j’étais d’une condition sociale très basse car, forcément, qui d’autre que des misérables accepteraient de voyager ainsi ?
Et puisqu’il est question de misère, je dois préciser un point : à aucun moment je n’ai pratiqué la mendicité, ni même du harcèlement commercial pour vendre mes livres. Je peux même dire que dans deux cas sur trois, on me donnait de l’argent sans que je le demande et même très souvent avant que je puisse expliquer que je voyageais sans argent. A contrario, je me suis retrouvée à refuser des sommes d’argent, en particulier dans les cas de gens vivant chichement ou quand j’estimais qu’il y avait un abus de générosité.
J’ai envie de conclure sur ce point en disant que l’argent, pour moi, n’a pas été un problème. Non seulement je n’ai pas eu à souffrir du manque d’argent, mais en plus de cela, je ne me suis pas du tout sentie frustrée à la vue des terrasses de café ou de restaurant, ou des étals de marché et de commerces. D’ailleurs, je ne m’étais pas fixée comme but de tenir coûte que coûte et de résister à la tentation en bavant devant tout ce qui me donnait envie. Il est certain que si la situation m’avait semblé pénible, je n’aurais pas continuer sur le même régime.
J’ai sans doute été la première surprise par mon comportement ; jamais je n’aurais imaginé que ça allait être si facile. Quand je voyais des gens dépenser et consommer sans compter, je me disais simplement que mes vacances n’étaient pas du tout les leur et, pour cela, aucune raison de les envier : je préférais nettement de loin mon aventure.
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(A suivre...)
Commentaires
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Je viens de lire ton histoire, c'est tout simplement magnifique!
C'est une belle leçon de vie.
A bientôt
Bernard
Bonjour,
Contents de savoir que tu as pu continuer ton voyage en Corse, et que tu es bien rentrée.
A bientôt peut-être ?
Flo, Benoit & Erwan.
Super ton blog, une vraie leçon de vie, je viendrai le lire plus posément. Rosetina
effectivement pas evident cette rencontre pas coiol du tout
heureusement qu'il existe encore des gens correct que tout le monde n'est pas comme sa surtout venant d'un maire.
Edifiant ...et plein d'optimisme...Merci pour ces belles leçons...