Si l’essentiel du temps mes faibles ressources financières n’ont nullement contrarié le plaisir de la rando, il est aussi arrivé que des imprévus m’imposent soudainement une dure confrontation à cette réalité, au point que je me suis mise à douter du bien fondé de mon choix.
Un médecin spécialisé avec 1 € symbolique, est-ce possible ?
Ce fut le cas dix jours après mon départ : un matin, au moment de me pencher au-dessus d’une sacoche, une branche de buis qui s’enfonce en plein dans un de mes yeux. Bref, un incident stupide comme il en arrive souvent en chemin et – on peut penser – bénin. Mais après la douleur vive de la brûlure et un interminable larmoiement, je me rends compte que j’ai perdu la vision de mon œil : du paysage, je ne preçois plus que de vagues contours colorés noyés dans un flou permanent. Au camping où je me trouvais, on me propose des petites doses de sérum physiologique. J’applique aussitôt le produit en espérant que ça va s’arranger. Mais rien. Et ça devient même pire car, par moments, les brûlures me reprennent et mon œil se met de nouveau à larmoyer sans que j’en comprenne la raison. J’en viens à croire qu’un bout de la branche est restée dedans. Pas très rassurante, une personne du camping en vient à cette instant à me raconter l’histoire d’un jeune garçon qui a, comme ça, perdu un œil. Alors qu’il était en vélo, il s’est pris une branche. Evidemment, je commence à m’inquièter pour la vision de mon œil.
Une heure passe, puis une autre, sans changement. Un moment, je me dis qu’il faut quand même songer à partir. Sur la route, régulièrement, je me remets du sérum physiologique, mais aucune amélioration. Je me rends compte que mon œil malade m’handicape également pour la marche. Une voiture s’arrête et quelqu’un me demande ce qu’il se passe. J’explique. Malheureusement je ne tombe pas sur des toubibs. Mais ils me proposent d’ausculter mon œil. L’examen se fait sur un trottoir en bord de route. Pas de saletés apparentes, selon eux, mais vraisemblablement un petit caillot de sang provoqué par la blessure de la branche.
Enfin, une première bonne nouvelle qui me rassure. Mais peu après, au moment de la pause déjeuner, les brûlures vont se raviver. Pendant deux heures, ça va être terrible avec en même temps un œil complètement rouge larmoyant. Je m’arrête avec mon âne dans une forêt, mais plus moyen de profiter de quoi que ce soit. J’enrage de cet incident stupide qui me fait tout gâcher et c’est alors que je commence à réfléchir à la solution d’un médecin. Mais un médecin, quand on est en pleine nature dans l’Auvergne et de plus, un spécialiste des yeux, ça ne doit pas être la porte, enfin disons plutôt, le chemin d’à–côté. Je finis par rencontrer une ramasseuse de champignons et l’interroge à ce sujet. Confirmation de sa part, le premier occuliste est à perpette.
Mais là bien sûr n’est pas mon seul ennui. Il y a aussi la question du paiement ; je pense alors à mes 140 € récoltés au cours de ces dix jours. Tout cet argent risque d’y passer et je ne suis d’ailleurs pas sûre que cela puisse suffire. De toute façon, je dois quand même continuer à marcher.
Le soir, pas d’amélioration ; je continue d’avoir un œil aveugle et d’horribles brûlures, par moment, qui le font pleurer. Mais l’ombre d’une solution de traitement me redonne tout à coup un peu d’espoir : j’ai appris, quelques étapes plus tôt, par des personnes qui m’ont hébergée, que je pouvais bénéficier d’une aide immédiate de mon assurance auto au cas je serai blessée. En effet, l’assurance auto offre une intervention immédiate en tout lieu si on est blessé et même quand on est sans véhicule ; c’est surprenant et c’est très peu connu, mais on m’a certifié que je pouvais moi-même bénficier de cette aide. Et là, tout à coup je repense à ça. Oui, j’ai une blessure à l’œil, j’intègre donc la catégorie des “blessés”.
Toutefois, je me dis qu’il est quand même préfèrable d’attendre le lendemain.
Le lendemain, au réveil, j’ouvre un œil, puis l’autre, et là grande joie : mon œil blessé se remet à voir. Finie aussi la brûlure vive et juste l’impression d’avoir une sorte de gnon, comme si j’avais reçu un gros coup de poing dans la figure.
Comment j’ai pu acheter une caméra performante pour seulement 79 euros.
L’autre incident important, fut “ la panne définitive ” de ma caméra, au moment où j’arrivais dans le Lubéron. Incident que je relatais en direct sur le blog (voir donc dans les pages précédentes). A ce sujet, je remercie vivement l’internaute qui me proposait de me dépanner en me prêtant sa caméra, mais son message est arrivé malheureusement à un moment où je ne pouvais plus consulter Internet.
Une caméra en panne, on pense que normalement, ça ne devrait pas gêner la suite du trajet, mais quelle tristesse de ne pas pouvoir mettre sur pellicule des paysages splendides qui font chanter des harmonies entre la pierre et la végétation et, d’autre part, il y a le plaisir de garder en mémoire des moments importants. Enfin, il y a tout simplement le témoignage, l’envie de raconter par l’image, ce qui s’est passé, sans oublier les inattendus, au détour d’un chemin, qui viennent ainsi enrichir le témoignage. La caméra c’est tout ça. Et la mienne faisait aussi appareil photo. D’une qualité semi–pro, elle me donnait un bon rendu et me laissait croire en un futur reportage de qualité.
Mais voilà, tout à coup, blim blam bloum... plus de jus, plus de mise en route possible. Morte, la caméra. Et avec ça, le film coincé à l’intérieur.
Or, le lendemain de la panne. Oui, je dis bien “le lendemain”, au matin, un homme vient avec une enveloppe et dans l’enveloppe un billet de 100 euros. Devais-je prendre cela pour un signe des dieux ? Cent euros, en effet, c’est une somme, mais à quoi peut-elle me servir cette somme, aussi belle soit-elle, si avec je ne peux pas me racheter une caméra ? Donc, je continue à être désespérée et lance çà et là des appels afin d’essayer de trouver quelqu’un qui pourrait me prêter la sienne.
Mon absence de caméra, en même temps, vient chambouler mes projets. Je pensais chercher un van qui pourrait m’avancer au plus vite vers Toulon, mais comment envisager une traversée, si j’y parviens, sans prendre une seule image ni même une seule photo de ce moment unique ? Ne pas pouvoir filmer à de pareils instants, c’est comme ne pas avoir d’appareil photo le jour du mariage. Bref, c’est quand même très frustrant.
Bien sûr, cela peut surprendre que l’absence d’une machine qui n’est pas nécessaire à la progression de la randonnée puisse ainsi tout gâcher et même mettre un terme au voyage... Comment faisait-on dans le temps passé ? Evidemment, on ne se privait pas d’effectuer de grands voyages. Tout était consigné par écrit. Peut-être quelques schémas, mais rien de plus. Forcément, c’était une autre mentalité. Mais pour moi, ça devenait la plus insurmontable des épreuves. Aussi, un moment je suis dit : “ Il faudra peut-être que je m’arrête à Aix-en-Provence. ” Mais en même temps j’hésitais. Je me disais aussi que je recevais là une belle leçon d’humilité. Car ne pas continuer à cause d’une caméra en panne, c’était quand même ridicule...
Mais, en chemin, le coup de fil d’une amie. Je lui raconte ma mésaventure et lui parle en même temps de l’enveloppe avec les 100 euros. C’est alors que pour elle la solution paraît des plus évidentes : ces 100 euros ne sont pas arrivés là par hasard ; ils sont certainement une solution pour permettre d’acheter une caméra. Je lui rappelle cependant la dure réalité des prix. Avec 100 €, on a rien en matériel pour filmer. Ma caméra coûtait dix fois ce prix et, si on veut du matériel de qualité, il faut de toute façon le double au moins. Je peux certes mettre un peu plus que 100 € dans l’affaire, mais au–delà de 150, c’est empiéter dangereusement sur mon “buget ferry”. La copine me fait alors remarquer qu’une mauvaise caméra vaut mieux que pas de caméra du tout. Elle n’a pas tort. Je lui demande si elle a la possibilité de jeter un œil sur internet pour voir les prix les plus bas et les magasins de vidéos sur Aix-en-Provence. Elle est d’accord, me rappelle un peu plus tard et m’annonce qu’il existe des caméras qui sont dans mon budget, ainsi que des magasins sur ma route.
Mon amie avait vraiment réussi à me remonter le moral. Dès lors, je me suis fixée pour objectif de faire tout mon possible afin de me racheter une caméra à Aix. L’éventualité d’un achat, jusque-là, m’avait semblé si absurde que je l’avais aussitôt balayée de mes pensées, mais tout à coup, je comprenais qu’il fallait peut-être avoir ce coup de folie pour arriver à une solution ; la vie est ainsi faite : elle aime les paradoxes.
Pourtant, un début qui s’annonce mal : quand j’arrive dans Aix–en–Provence, nous sommes un samedi soir et il est 18 h 30. Je fais vite le calcul ; si je veux aller dans un magasin avant la fermeture du week-end, je dois, en un quart d’heure, trouver une maison pour me loger, un pré pour installer l’âne, et avoir une âme généreuse qui accepte de m’emmener en voiture dans une Fnac ou ailleurs, juste avant la fermeture. Et bien, chose incroyable, un quart d’heure plus tard, c’est comme je l’avais rêvé... En effet, grâce à la rencontre d’un couple formidable, mon âne est laissé dans un jardin de villa en bord d’une piscine, mes affaires ont été mises à côté et le mari me propose généreusement de faire un rapide saut en voiture pour obtenir mon matériel. Je suis, en plus de cela, tombée sur quelqu’un qui semble avoir quelques connaissances dans l’informatique et la vidéo : je vais en plus pouvoir bénéficier de ses conseils.
Mais sitôt arrivée dans les magasins, il me faut vite déchanter : les prix ne sont pas du tout conformes à mon budget, ni aux prédictions de mon amie qui s’était informée via le net. Pour les caméras les moins chères il faut débourser plus de 200 €. Donc presque un retour à la case départ avec en plus la perspective d’un dimanche qui vous ferme les portes au sens propre du terme. Je n’irai pas jusqu’à revendiquer l’ouverture des magasins le dimanche (car de toute façon ce n’est pas avec mes randonnées que je vais les enrichir), mais tout de même, quand on devient un cas (et non pas “inca”) de touriste banni de toutes les grilles de statistiques de marché de la consommation, il est quand même bien, n’est-ce pas, de se dire que si les solutions existent, on existe aussi un peu, quand même (j’entends, socialement parlant). Mais très vite c’est le soulagement, car mon accompagnateur – qui s’est pris au jeu du défi de ma rando – en vient à une nouvelle possibilité : il existe entre Aix et Marseille une importante zone commerciale ouverte le dimanche ; là des magasins vidéos dont certains qui vendent d’occasion et en plus de ça il est d’accord pour m’y emmener. Je devine le sacrifice que ça peut représenter pour cet homme, que de devoir passer une partie de son dimanche dans une immonde zone commerciale, mais il insiste quant à moi, un petit mot a fait “tilt” à mes oreilles : “occasion ” ; là c’est sûr, si je prends un matériel d’occasion je peux avoir l’espoir d’un bon rapport qualité/prix. Et donc le lendemain nous voilà à courir dans ces préfabriqués de la zone commerciale. Et dire que je rêvais d’une rando très nature ! Mais bon, quelques petits écarts ne font de pas de mal non plus. Toujours est-il que des extra-terrestres venant de Mars ne seraient pas sentis moins dépaysés que moi. Mais soudain je tombe dessus ; un modèle d’occasion comme prévu ; même marque que l’ancienne ; une bonne qualité d’images et aussi un prix très intéressant : 179 € Oui, encore un de ces prix qui finit avec un “9”, selon l’habituelle stratégie commerciale ; j’apprends qu’il n’est pas possible de négocier ; là un hic, car ça empiète quand même sur mon budget ferry. A moins que... Et c’est là que commence la négociation de prix avec mon accompagnateur. Allez, 100 €, top là. C’est vendu ! Oui, vous avez bien compris. J’ai vendu une caméra que je n’avais même pas acheté. Mon accompagnateur qui cherchait lui-même une caméra trouvait ce modèle pas mal du tout. Eh bien, elle est à lui. Il devra juste attendre un ou deux mois. Mon accompagnateur est absolument ravi d’avoir fait une si bonne affaire quant à moi, au bonheur, je peux enfin avoir une caméra. Je paye donc 79 €.
J’ai donc eu une caméra de qualité pour 79 €. Enfin, quand je dis 79 €, je devrai même dire pour 1 € symbolique ou même pour 0 €, puisqu’il s’agit des sommes obtenues en chemin, aussi j’avais un peu de mal à considérer cet argent comme le mien ; il restait “l’argent de la randonnée”.
Maintenant que j’avais une caméra, je pouvais essayer d’aller au plus vite à Toulon. Plus de temps à perdre car on arrivait sur Septembre ; il me fallait à tout prix trouver un van. Enfin, quand je dis “ à tout prix ”, c’est bien sûr une façon de parler. Il faudrait plutôt dire : “ à aucun prix ”, et là évidemment c’est nettement moins évident. Mais le jour même, je me rends dans le centre équestre d’Aix-en-Provence. Et là, j’apprends une très bonne nouvelle : le patron du centre équestre doit partir le lendemain avec un van vide pour aller chercher un cheval à St Trop. Il doit donc passer par Toulon. Peut-il m’emmener avec mon âne ? Pas de souci. Et c’est gratuit !
Histoire d’une tente en fin de vie et d’un vent qui fait des miracles...
Mon troisième imprévu, ce fut la tente. Là aussi ça commença dans le Lubéron. A croire que dans cette région qui attire quelques familles de nantis, il existe aussi quelques mauvais génies briseurs de matériels. Toutefois la tente ce n’était pas aussi grave que la caméra ; un des tenants en fibre da carbone qui était sur le point de casser ; je connaissais déjà ce genre de souci et avait déjà pris l’habitude de procéder à quelques bricolages réparateurs ; ce n’était pas du très solide (je ne suis pas une très bonne bricoleuse) mais au moins ça devait tenir. Du moins je l’espérais. Cependant j’avais oublié un paramètre important dans cette histoire : le vent. Or, le vent en Corse dans la Balagne, ça souffle. Et le troisième soir de mon arrivée sur l’île, crac ! la tente qui s’affaisse et la toile qui me tombe sur la tête. Ma nuit semblait sérieusement compromise, mais après une heure de tatônnement, je réussis à trouver un équilibre à ma tente, histoire de ne pas avoir à dormir avec de la toile sur la figure. Mais cette nuit-là le vent soufflait fort avec de grosses rafales de 100 km/h. Evidemment, il ne se passa longtemps avant que, de nouveau, il y ait un affaissement de la tente. Donc, au milieu de la nuit j’allais la redresser, puis je me recouchais. Mais une heure plus tard, il fallait encore recommencer.
C’est là où j’ai eu une idée. Ayant déjà eu à organiser des manifs, je me souvenais de la technique qui permettait aux banderoles de ne pas se gonfler sous l’effet du vent ; on prenait un cutter et on les tailladait de partout. Et bien, c’est ce que j’ai décidé de faire avec ma tente. J’ai pris une paire de ciseaux et je l’ai lacérée de tous les côtés. Le procédé a fonctionné ; ma tente a pu tenir debout jusqu’au lendemain matin.
Jamais je n’aurais imaginé que mes lointaines connaissances d’organisatrice de manif m’aideraient un jour, en Corse, au cours d’une rando.
Cependant, le lendemain, devant l’amas de tissu déchiqueté qui me restait, je pouvais déclarer officiellement que je n’avais plus de tente. Et pour une autre tente, il n’y avait pas 36 solutions ; il n’y avait qu’une seule ville où je pouvais me rendre : Calvi et dans Calvi, un seul magasin où l’on vendait des tentes.
Et devinez quel jour on était ? Mais oui, bien sûr, un Samedi. Aussi, le calcul fut vite fait ; pour arriver à Calvi avec mon âne, il me fallait la journée. Je risquais, une fois encore d’arriver au moment de la fermeture. A moins que...
Dans un café, on me parla de bergers que j’allais rencontrer sur ma route. Ils étaient plusieurs, disséminés le long de mon chemin. Très certainement l’un d’eux allait accepter de bon cœur de m’emmener en voiture. Il y avait donc déjà une solution de ce côté, mais je pensais également à mon budget. Certes, la question du ferry pour la Corse ne se posait plus puisque j’y étais, mais je ne pouvais pas prolonger indéfiniment mes vacances – même si elles ne me coûtaient rien – et il fallait donc que je prévoie un budget pour le retour. Côté finances, ça allait encore, même s’il fallait faire un peu attention. Bref, j’espérais obtenir une tente pour une vingtaine d’euros.
Je pris donc la route des bergers sans trop savoir comment j’allais les rencontrer. Mais très vite quelqu’un qui me fait signe d’une fenêtre et me demande d’attendre. Puis il vient à ma rencontre accompagné de ses enfants, et me propose d’entrer pour prendre un verre. Sa maison étant en bord d’une route tournante et pentue, je lui fais remarquer qu’il n’est pas très pratique de garer mon âne à cet endroit. Mais il me dirige vers un petit arbre, un amandier un peu en retrait de la route. Je commence à attacher mon âne mais il décide de me venir en aide et, tout à coup, en se penchant, le voilà qui fait une découverte surprenante. Dans une touffe d’herbe, un billet ! Oui, un vrai billet de banque ! Et devinez quelle somme? Vingt euros !
Aussitôt, il s’exclame :
– « Regarde ça. En plus l’âne il me porte chance ! »
Et il empoche le billet.
Je ne lui avais pas encore dit que je voyageais sans argent et surtout que le jour même il me fallait vingt euros pour la tente. Ce billet arrivé dans l’herbe, au pied de l’amandier, c’était forcément le vent qui l’avait apporté là. Le même vent qui avait démolli mon reste de tente, la veille.
Vient le moment où il m’offre un verre et où s’engage la discussion. Il m’interroge et là, je me vois obligée de parler des conditions de ma randonnée. Mais, volontairement, je reste vague. Cependant, il comprend. Posant une main sur la poche où il avait mis le billet, il me rétorque :
– « Je ne vais quand même pas vous donner 20 euros. »
Il était prêt à partager.
J’ai alors pensé que j’avais quand même déjà la somme pour m’acheter une tente, même si cela imposait quelques restrictions. De plus, ce n’était pas moi qui avais aperçu le billet. Enfin, il paraissait évident que ce berger avait plus besoin de cet argent que moi. Je lui ai donc demandé de garder la somme.
J’ai repris la route. Il était prévu que je revoie le berger en chemin et, s’il ne trouvait personne pour m’emmener à Calvi, il pourrait lui-même le faire.
Cependant, en chemin, la maison d’un autre berger. Je m’y arrête. Lui aussi peut m’emmener en voiture à Calvi. Mais par précaution, il préfère appeler le magasin. Et il a très bien fait. Dans le magasin, aucun modèle de tente qui pourrait me convenir. Mais il y en a probablement un qui arrive lundi. Ce ne sera pas avant lundi, car il n’y a pas de livraison. Et enocre, pour lundi, ce n’est pas tout à fait sûr. Quant au prix, il est entre 20 et 30 €.
– Et pourquoi une tente ? me demande tout à coup le berger.
Oui, pourquoi ? Pourquoi une tente ? Pourquoi une voiture ? Pourquoi de l’argent? Pourquoi un téléphone ? Et aussi, pourquoi se dire pourquoi...
– Et s’il pleut ?
Il n’avait pas pensé à cette éventualité. Il n’avait pas pensé non plus à l’aspect sécurisant de la tente pour une femme seule. Dans une tente, on ne sait pas qui s’y trouve et s’il y a une personne ou plusieurs. Mais si je dors à la belle étoile, je peux me faire surprendre au beau milieu de la nuit.
J’ai passé la nuit dans la bergerie. Le lendemain, pas question que je m’éloigne de Calvi où il me fallait attendre une hypothétique tente, pour lundi. La veille, en chemin, quelqu’un m’avait donné un billet de 10 €. Je pouvais donc prévoir une tente à 30 €. Mais surtout, il m’avait donné une adresse très intéressante dans les environs pour le lendemain.
Après quelques difficultés pour trouver mon chemin dans le maquis, je me suis rendue à cette adresse. Là, j’ai été accueillie royalement. En plus de ça, on m’a donné la somme de 100 € et, devinez quoi ? Une petite tente qui ne servait plus. Je l’ai regardée, je l’ai montée. Elle me convenait parfaitement. Plus la peine d’aller à Calvi.
Mes dépenses et la première fois que je touche à ma tirelire...
Oui, pendant ma randonnée, on m’a offert deux fois la somme de 100 € ! C’est tout simplement hallucinant.
Je n’ai donc jamais manqué d’argent. Je peux même affirmer que plus je prolongeais ma randonnée et plus je m’enrichissais.
Les dernières semaines, je me suis dit : « C’est bon, plus la peine de faire des économies. Je suis libre de dépenser, de me faire plaisir. » Mais phénomène curieux, je n’arrivais plus à dépenser. On connaît le comportement inverse : l’achat compulsif. Et bien moi ça devenait de l’économie compulsive. A chaque fois que se posait la question d’un achat, je me disais : Non finalement, ça ne me tente pas vraiment. Je n’en ai pas vraiment besoin... Et je n’achetais pas. Ou bien, quand j’étais résolument décidée à dépenser mon argent, quelqu’un me devançait et m’offrait ce que j’attendais. Il est vrai que sur ce point la générosité corse y est pour beaucoup. Mais il fallait se rendre à l’évidence : j’avais un problème docteur. Je n’arrivais plus à dépenser.
Ma première dépense eut lieu 20 jours après mon départ. Autrement dit, trois semaines sans sortir un seul centimes de ma poche. Mais je vois que mon âne a de plus en plus mal aux pieds quand il marche. Je n’ai pas envie qu’il devienne une stupide victime de mon défi financier. Je profite d’un point de contact au sud de l’Auvergne pour avoir l’adresse d’un maréchal ferrant qui soit fiable. Je fais la rencontre d’un homme très sympathique. Il n’a ferré qu’un seul âne, ce qui n’est pas très rassurant, car les ânes et les chevaux ont des sabots très différents, mais, ironie du sort, je me rends compte que je connais l’âne en question ainsi que son propriétaire ; c’est donc plus qu’une réfèrence ; ainsi, je fais ferrer mon âne dans les environs de Retournac. En même temps, j’apprends au maréchal ferrant qu’il va être ma première dépense. Là, sentiment de culpabilité de sa part. Il ne voudrait pas qu’à cause de ça, ma randonnée échoue. Il ne me demande que 20 €.
Après mon passage chez lui je n’étais plus en quête d’argent. Je ne demandais plus. On me donnait spontanément, si on souhaitait participer. Durant mes deux mois de voyage je n’ai pas dépensé un seul centime pour l’hébergement et je n’ai fait les courses qu’une seule fois. C’était un jour symbolique, puisqu’on était le 09/09/09.
Une seule fois les courses, mais je me suis achetée une caméra. C’est vrai, c’est absurde.
Une belle leçon d’humilité
J’ai repensé une fois à cette problématique d’un voyage sans image filmées ni photographiées. A la table d’une terrasse, un Corse raconta un jour comment, avec un ami, il avait essayé d’apercevoir le mouflon corse. Plusieurs ils avaient entrepris d’importantes expéditions en haute montagne et sans pouvoir apercevoir l’ombre d’une corne. Mais à force de tenacité, un jour, après quatorze heures de marche ininterrompues, il finirent par l’apercevoir, le seigneur des montagnes corses. Ils restèrent là à le regarder. Juste le regarder. Avec eux, aucun matériel. Pas de caméra. Pas d’appareil photo. Seulement leurs yeux.
Ce témoignage m’a marquée. Je n’étais pas la seule à donner des leçons d’humilité. Là, c’est moi qui en recevais une.
Quand il faut faire les comptes...
J’ai eu également l’occasion de repenser au billet de 20 € trouvé par le berger au pied de l’amandier. Quand j’ai additionné les sommes d’argent reçues au cours de mon voyage, je suis arrivée à 470 €. En même temps, je me suis rappelée que j’avais refusé deux fois la somme de 5 €. Or, si on j’ajoute les 10 € au total obtenu, je me rends bien compte qu’il manque 20 € pour arriver à 500 € tout rond.
Encore un clin d’œil du destin sans doute...
Commentaires
toujours presentes pour pouvoir suivre ton parcours. et toujours envie et le plaisir de te lire.
a bientot bisous
Toujours aussi bien écrit et passionnant...Belles leçons de vie et d'espoir car finalement quand on ose...
Bonne soirée